Archive dans juin 2010

Le droit local d’Alsace-Moselle

Chronique juin 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, en matière de culte, de droit du travail ou de protection sociale, l’Alsace et le département de la Moselle bénéficient de l’application d’un droit local. Quel est l’origine de ce droit local ?

Me BUFFLER : notre droit local alsacien-mosellan trouve son origine dans la période allemande des 3 départements de la Moselle, du Haut et du Bas-Rhin. En effet, suite à la défaite française de 1870, ces 3 départements ont été intégrés au 2e Reich allemand, et ce jusqu’en 1918. La législation allemande s’est ainsi appliquée de 1870 à 1918, le droit français étant ignoré.

Ces 50 ans de parenthèse allemande ont laissé des traces dans notre région, l’Etat français acceptant de ne pas plaquer sans discernement le droit français de 1918 à une région perdue pendant 50 ans.

Mme VIAL : et donc comment cela se traduit-il ?

Me BUFFLER : tout d’abord, avec le retour de l’Alsace Moselle à la France en 1918, il est apparu que le droit français avait beaucoup évolué en 50 ans. En 1905 notamment l’Eglise et l’Etat français ont été séparés, ce qui n’a jamais eu lieu en Allemagne.

Plutôt que d’imposer cette séparation à une région aux convictions religieuses fortes et qui risquait dès lors de rejeter cette séparation, l’Etat français a laissé subsister le concordat signé sous Napoléon Ier.

Surtout, sur certains points, la législation allemande était en avance par rapport à la législation française. Bien évidemment en 1918 les alsaciens-mosellans n’avaient aucune envie de se voir substituer une législation allemande moderne par un droit français parfois archaïque. L’Etat français a dès lors accepté de maintenir en vigueur certains pans du droit allemand.

Mme VIAL : par exemple ?

Me BUFFLER : en matière de faillite civile par exemple. Depuis le début du 20e siècle il est admis en Alsace-Moselle que si la situation d’un particulier est financièrement irrémédiablement compromise, il doit pouvoir bénéficier de l’effacement complet de ses dettes, comme cela existe pour les sociétés.

Cette possibilité est bien évidemment fortement encadrée afin d’éviter les abus.

Il n’en reste pas moins qu’il aura fallu attendre presque un siècle pour que la France adopte en 2002 un système à peu près similaire.

L’Alsace Moselle est également la seule région de France a disposer d’un livre foncier qui recense l’ensemble des propriétés foncières. Dans le reste de la France il existe bien la conservation des hypothèques mais son rôle est avant tout fiscal et n’est dès lors pas aussi complet que le livre foncier.

Mme VIAL : on dit souvent que le droit local est plus favorable aux salariés que le droit du travail français. Est-ce vrai ?

Me BUFFLER : c’est très largement vrai. En matière d’arrêt maladie par exemple. Le salarié français se voit appliquer un délai de carence de 3 jours pendant lequel il n’est pas indemnisé. Eh bien, ce délai de carence n’existe pas en Alsace Moselle. Le salarié en arrêt maladie moins de 4 jours bénéficie du maintien intégral de son salaire. Aucune retenue ne peut être pratiquée par l’employeur, ce que ce dernier oublie trop souvent.

Par ailleurs, le droit local pose le principe de l’interdiction de tout travail salarié le dimanche et les jours fériés. Il existe bien quelques dérogations mais celles-ci sont très limitées.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

Les remises de peine

Chronique juin 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, au mois de mai dernier nous apprenions que Véronique COURJAULT, auteur de plusieurs infanticides et condamnée à 8 ans de prison en 2009, faisait l’objet d’une libération conditionnelle. Comment est-il possible que quelqu’un condamné à 8 ans de prison puisse être libre seulement 1 an après sa condamnation ?

Me BUFFLER : tout d’abord il faut bien comprendre que si Madame COURJAULT a fait l’objet d’une libération conditionnelle 1 an après sa condamnation, cela ne signifie pas qu’elle n’a fait qu’un an de prison.

En effet, et cela est relativement courant en matière de crime ou délit, Madame COURJAULT a très certainement passé plusieurs mois, voire années, en prison avant d’être jugée en 2009 et cela dans le cadre de la détention provisoire. Bien évidemment, une fois condamnée, ses années de prison passées en préventive sont prises en compte et imputées sur les 8 ans auxquels elle a été condamnée.

Mme VIAL : certes, mais même en admettant que Véronique COURJAULT a passé 3 ou 4 ans de prison en détention provisoire, si elle est libérée en 2010 cela veut tout de même dire qu’elle n’aura fait que 4 ou 5 ans de prison sur les 8 ans auxquels elle a été condamnée. Comment expliquer cela ?

Me BUFFLER : en fait, il faut savoir que quand vous êtes détenu, si vous vous tenez à carreau en prison vous bénéficiez automatiquement de crédits de remise de peine qui sont de 3 mois par année de détention (2 mois seulement en cas d’incarcération suite à récidive). Ainsi, si vous êtes condamné à 4 ans de prison, vous n’en ferez en réalité que 3.

A côté de ces réductions de peine ordinaires s’ajoutent les réductions de peine supplémentaires. Celles-ci sont accordées aux détenus qui se tiennent bien en prison et qui, de surcroît, fournissent des « efforts sérieux de réadaptation sociale ».

Ces réductions de peine supplémentaires sont de 2 mois par an au maximum.

Ainsi, si vous êtes condamné à 4 ans de prison fermes, si vous bénéficiez de la totalité des réductions de peine existantes (soit 3+2 mois par an), vous ne ferez en réalité qu’un peu plus de 2 ans.

Toutefois, pour bénéficier des réductions de peine supplémentaires, il faut bel et bien démontrer des « efforts sérieux de réadaptation sociale ».

Le détenu doit ainsi justifier de son succès à un examen scolaire, universitaire ou professionnel, à tout le moins de progrès réels dans le cadre d’un enseignement ou d’une formation. Il doit également avoir fait un effort réel pour indemniser ses victimes. Et le juge y veille.

Mme VIAL : moralement, n’est-ce pas choquant ? Une cour d’assises prononce une peine et au final, avec l’ensemble de ces remises de peine, le condamné n’effectue qu’un peu plus de la moitié de la peine prononcée.

Me BUFFLER : en fait, il faut savoir qu’appliquer strictement une peine aggrave le risque de récidive. En effet, si ses efforts de réinsertion ne sont pas encouragés et récompensés, le détenu n’a aucun intérêt à bien se conduire et à faire des efforts de réadaptation sociale. Sans cette carotte, on multiplie le risque de voir le détenu encore plus mauvais à sa sortie qu’il ne l’était en entrant.

Mme VIAL : enfin, sauf erreur, Madame COURJAUT a bénéficié d’une libération conditionnelle. Qu’est-ce qu’une libération conditionnelle ?

Me BUFFLER : une libération conditionnelle peut être accordée au plus tôt à mi-peine. Le but est de préparer la sortie de prison du détenu et d’éviter que l’on ne le jette de la prison à la rue du jour au lendemain.

La libération conditionnelle est réservée aux détenus méritants dans des conditions voisines à celles des réductions de peine supplémentaires, à savoir justifier d’efforts sérieux de réadaptation sociale.

Si tel est le cas, le détenu pourra sortir de prison bien avant la date normale, sachant que comme son nom l’indique, cette libération anticipée est soumise à conditions : exercer une activité, se conformer aux mesures de suivi imposées et évidemment se tenir à carreau une fois libéré. Toute violation ou infraction, même mineure, signe le retour en prison de la personne en libération conditionnelle.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

La Cour de Justice de la République

Chronique juin 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 30 avril dernier Charles PASQUA a été condamné à un an d’emprisonnement avec sursis par la Cour de Justice de la République. Qu’est-ce que cette Cour de Justice de la République ?

Me BUFFLER : la Cour de Justice de la République est le tribunal qui instruit, et juge si nécessaire, les infractions commises par les ministres pendant l’exercice de leurs fonctions. Elle a été créée en 1993 afin de prendre la suite de la Haute Cour de Justice.

Seules les infractions réellement en rapport avec la conduite des affaires de l’État relèvent de cette Cour. Cela signifie que toute infraction d’ordre privé, ou concernant des mandats électifs locaux, est exclue. Elle relèvera des tribunaux ordinaires (tribunal de police, tribunal correctionnel ou cour d’assises).

Mme VIAL : cette Cour est-elle ouverte à tous les plaignants ?

Me BUFFLER : oui, ce qui n’a pas toujours été vrai. Ce n’est que depuis 1993 que toute personne peut la saisir.

Avant, seul le Parlement pouvait engager des poursuites contre un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions. Autant dire qu’avec ce filtre parlementaire toute poursuite était purement illusoire.

C’est d’ailleurs cet accès restreint et peu démocratique qui a signé l’arrêt de mort de la Haute Cour, remplacée en 1993 par une Cour de Justice plus ouverte.

Il n’en reste pas moins que la Cour de Justice reste un tribunal d’exception puisque sur 15 juges, seuls 3 sont des juges professionnels. Les 12 autres sont en fait des parlementaires, moitié issus de l’Assemblée Nationale, moitié du Sénat.

Les personnes poursuivies devant la Cour de Justice de la République sont ainsi jugées par leurs collègues.

Mme VIAL : cette composition, pour le moins favorable, explique-t-elle la mansuétude de la Cour de Justice de la République dans le cadre du procès de Charles PASQUA ?

Me BUFFLER : certainement. Il est évident que lorsque l’on est jugé par ses pairs, la sanction est généralement moins lourde que si l’on est jugé par des tiers. Il y a bien sûr une part de copinage mais aussi et surtout le fait qu’un juge sera bien moins sévère avec le prévenu s’il sait qu’il risque lui-même de se retrouver un jour devant le même tribunal.

Mme VIAL : et pour ce qui est du procès PASQUA ?

Me BUFFLER : pour ce qui est des attendus de la Cour de Justice de la République, il est vrai qu’ils sont étonnants :

– d’un coté la Cour a retenu la gravité certaine des faits reprochés car commis par un ministre d’Etat dépositaire de l’autorité publique,

– de l’autre, la Cour indique faire preuve de mansuétude compte tenu de l’âge avancé du prévenu, alors que si Charles PASQUA a effectivement dépassé les 80 ans le jour de son procès, c’est bien parce que la Cour de Justice de la République a mis plusieurs années pour instruire le dossier et que Charles PASQUA a utilisé toutes les ficelles procédurales pour faire trainer son procès.

A cet égard, dans le cadre de l’affaire Clearstream, Dominique de VILLEPIN (et le Parquet) avait fait le choix de refuser de saisir la Cour de Justice de la République, justement pour éviter que le dossier ne s’enlise pendant des années (la Constitution le permettait-elle pour autant ? Ce n’est pas certain).

Mme VIAL : le procès PASQUA achevé, quels sont les prochains dossiers dont aura à connaître la Cour de Justice de la République ?

Me BUFFLER : c’est bien simple, aucun. A ce jour absolument aucun dossier n’a passé le premier filtre de la commission des requêtes. Résultat, absolument aucunes poursuites en cours.

On peut interpréter cette inactivité de 2 manières :

– soit nos ministres sont des parangons de vertu lorsqu’ils exercent leur fonctions gouvernementales, ce dont on ne peut que se réjouir,

– soit il y a de très forts blocages qui interdisent, sauf exception, que l’on mette en cause la responsabilité de nos ministres dans la gestion de leur dossiers.

A chacun de se faire son intime conviction.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.