Archive dans août 2010

La commission d’indemnisation des victimes

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques semaines nous apprenions qu’Ingrid BETANCOURT, ancien otage des FARC en Colombie, réclamerait à la France, par le biais de la commission d’indemnisation des victimes, près de 450 000 euros de dommages et intérêts pour les 6 ans qu’elle a passés dans la jungle. Qu’est ce que cette commission d’indemnisation des victimes ?

Me BUFFLER : la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) a pour but d’indemniser les personnes victimes d’une infraction pénale qui ont subi un préjudice corporel, voire dans certains cas un préjudice matériel.

Il existe une CIVI auprès de chaque Tribunal de Grande Instance (T.G.I.).

Mme VIAL : mais pourquoi passer par la CIVI ? Sauf erreur, si l’on est victime d’une infraction pénale, il suffit de se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel et de chiffrer son préjudice ; le responsable sera alors condamné à nous indemniser, non ?

Me BUFFLER : oui, vous avez raison mais il n’est pas toujours possible de trouver le responsable, ou alors celui-ci peut être insolvable. Dans ces 2 cas le tribunal correctionnel ne peut pas faire grand chose pour la victime.

Dans le premier cas, si le responsable n’a pu être identifié, il n’ y aura pas de procès, donc pas d’indemnisation. Dans le second cas, la victime aura bien un jugement qui lui octroie des dommages et intérêts mais elle ne pourra pas recouvrer les fonds qui lui sont dus.

La CIVI va ainsi prendre le relai.

Mme VIAL : dans le cas d’Ingrid BETANCOURT, sans remettre en cause la dureté et la longueur de sa prise d’otage, n’est-il pas choquant qu’elle soit indemnisée alors que les faits ont eu lieu hors de France, que sa fortune personnelle est importante et que c’est elle même qui s’est jetée dans la gueule du loup ?

Me BUFFLER : pour être indemnisé par la CIVI, rien n’impose que l’infraction se soit déroulée sur le territoire national. Vous pouvez parfaitement être indemnisé pour un préjudice subi à l’étranger. L’indemnisation ne requière d’autres conditions que d’être français ou d’habiter en France de manière régulière, ce qui est bien le cas d’Ingrid BETANCOURT qui est franco-colombienne.

Par ailleurs, pour ce qui est de sa fortune, la loi précise qu’en cas d’incapacité totale de travail (ITT) égale ou supérieure à un mois, la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice personnel quels que soient ses revenus.

Compte tenu de la dureté et de la longueur de sa prise d’otage, de toute évidence Ingrid BETANCOURT a dû se voir reconnaître une ITT supérieure à 1 mois. Ainsi, elle a droit à la réparation intégrale de son préjudice personnel quelle que soit sa fortune et quoi que l’on puisse en penser.

La faute de la victime peut par contre justifier l’exclusion ou la réduction de l’indemnisation demandée. C’est à la CIVI d’apprécier. Ainsi, ce n’est pas parce qu’Ingrid BETANCOURT demande 450 000 euros qu’elle les obtiendra, d’autant qu’il semble qu’elle a finalement retiré sa demande.

Mme VIAL : en 2008, a été mis en place le Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (SARVI). Quelle est la différence entre le SARVi et la CIVI ?

Me BUFFLER : en fait l’Etat s’est aperçu que beaucoup de victimes, malgré un jugement leur octroyant une indemnisation, ne peuvent pas ou ne cherchent pas à recouvrer les sommes qui leur sont dues, leur débiteur étant insolvable.

Le recours à la CIVI étant relativement limité, ces victimes se retrouvaient dès lors sans rien. Pour mettre fin à cette injustice, en 2008 l’Etat a ainsi créé le SARVI.

L’intérêt du SARVI est que pour les dommages et intérêts inférieurs à 1 000 euros, il règle directement la somme à la victime. Pour les dommages et intérêts entre 1 000 et 3 000 euros, le SARVI va régler 30% de la somme et se charger de récupérer pour le compte de la victime le solde + les 30% qu’il a réglé.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La vidéosurveillance

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, suite aux récents incidents intervenus dans le quartier de La Villeneuve à Grenoble, le Président de la République a annoncé l’installation de plus de 60 000 caméras de surveillance supplémentaires dans les lieux publics. Quelle est la vision de l’avocat sur cette extension de la télésurveillance ?

Me BUFFLER : en-dehors de l’aspect « big brother », c’est-à-dire cet aspect déplaisant d’être observé à tout instant et à tout endroit, lequel ne peut bien évidemment manquer d’interpeller, il convient de se poser la question du bilan de la vidéosurveillance depuis les 10 ou 20 ans qu’elle est utilisée.

Or, son bilan est loin d’être positif, c’est le moins que l’on puisse dire.

En GB ou aux Etats-Unis où l’usage de la vidéosurveillance est bien plus développé qu’en France, les études menées concluent toutes à un effet sur la délinquance quasi nul. Seuls 3% des enquêtes seraient résolues grâce à la vidéosurveillance, et son effet dissuasif est apparemment tout aussi limité. En 2008 Scotland Yard n’a pas hésité à parler de fiasco total en matière de vidéosurveillance.

A ce propos, un spécialiste anglais de la videosurveillance a fait observer avec justesse que si les caméras garantissaient la sécurité des citoyens, Londres, la ville plus vidéosurveillée du monde avec quelques 500 000 caméras serait aussi la plus sûre, ce qui bien sûr est loin d’être le cas.

Mme VIAL : quelles sont les raisons de cet échec ?

Me BUFFLER : apparemment le problème n’est pas tant de filmer que de faire le tri.

A l’image des services secrets américains qui semblent submergés d’informations sans pouvoir opérer une hiérarchie entre celles qui sont de premières importances et celles qui sont sans aucun intérêt, la police n’arrive pas à faire face à la profusion d’images, de qualité très inégale.

Un seul exemple : il y a 2 ans j’ai été amené à défendre une personne suspectée d’avoir volontairement tiré des coups de carabine sur un commerçant, le manquant fort heureusement. La scène s’était passée dans un quartier sensible de Strasbourg couvert par plusieurs caméras vidéo.

Eh bien, non seulement le tireur avait prévu le coup et couvert au préalable sa tête d’un sac en plastique pour ne pas être reconnu mais, surtout, alors même qu’un coup de vent lui avait fait perdre sa cagoule de fortune, les images prises n’ont finalement servi à rien car elles étaient de bien trop mauvaise qualité. On distinguait vaguement un jeune homme de 25 ans en jogging, profil qui court les rues.

Il ne faut pas se méprendre sur la vidéosurveilance. Ce n’est pas les « Experts Miami » où plus on zoome sur l’image plus elle devient nette. La vidéosurveillance c’est plus la video VHS de papa.

Et même quand les images sont de bonne qualité, encore faut-il des moyens humains pour les visionner en continue et les analyser.

Face à ce dernier problème, certains en Grande-Bretagne ont osé suggérer l’an dernier de proposer à des citoyens de visionner de chez eux les flux d’images, une prime étant attribuée au meilleur visionneur/voyeur. Fort heureusement ce projet a été abandonné.

Mme VIAL : votre condamnation de la vidéosurveillance est dès lors sans appel ?

Me BUFFLER : oui, et j’irai même plus loin : non seulement les caméras de surveillance portent une atteinte intolérable à la vie privée et aux libertés fondamentales compte tenu des gains sécuritaires dégagés, quasi nuls, mais de surcroit l’ensemble des moyens financiers, faramineux, mis dans la vidéosurveillance sont pris sur d’autres budgets, notamment sur celui du recrutement de policiers.

A Grenoble par exemple, en 20 ans l’agglomération grenobloise a perdu 120 postes sur 720. Vous croyez vraiment que ce sont les cameras vidéo qui vont faire le boulot à la place de la police ?

C’est de policiers dans les rues, d’ilôtiers, dont les Français ont besoin ; pas de caméras de surveillance inefficaces et à des prix prohibitifs.

Avec la vidéosurveillance on donne l’impression aux gens que la police prend des mesures mais c’est le miroir aux alouettes.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

Protéger son patrimoine personnel des créanciers professionnels

Plus de 1,5 millions d’artisans, commerçants et professions libérales exercent leur activité professionnelle en indépendants, y compris ceux ayant opté pour le nouveau statut de l’auto-entrepreneur

Le souci est qu’il n’y a pas de distinction entre leurs biens personnels et leurs biens professionnels, excepté en ce qui concerne leur résidence principale (sous réserve d’une déclaration devant notaire). Dès lors, en cas de faillite, tous leurs biens sont saisissables, même les biens communs des époux en communauté (d’où l’intérêt d’opter pour le régime matrimonial de la séparation des biens quand on est entrepreneur individuel et que l’on tient à se marier).

Précédemment, la seule solution pour protéger totalement son patrimoine personnel était d’abandonner son statut d’indépendant et de créer une société.

Grande nouveauté : à compter du 1er janvier 2011 il sera possible, sans création d’une personne morale et tout en restant propriétaire de l’ensemble de ses biens, de protéger ses biens personnels des créanciers professionnels.

Pour cela il suffira d’opter pour le futur statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

L’EIRL permettra de séparer son patrimoine personnel de son patrimoine professionnel exclusivement affecté à l’exercice de son activité. Une simple déclaration d’affectation des biens auprès de l’organisme dont dépend l’indépendant suffira : répertoire des métiers pour un artisan, registre du commerce cet des sociétés pour un commerçant et greffe du tribunal de commerce (ou de la chambre commerciale) pour un libéral ou auto-entrepreneur.

Avec l’EIRL, l’entrepreneur pourra même opter, en lieu et place de l’impôt dur le revenu, pour l’impôt sur les sociétés au taux réduit de 15% jusqu’à concurrence de 38 120 euros (33,33% au-delà).

Pour plus d’information, se connecter sur : www.infoeirl.fr

Le conflit d’intérêts

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, suite à l’affaire WOERTH – BETTENCOURT, les politiques et les medias ne cessent de nous affirmer qu’il y a « conflit d’intérêts ». Juridiquement, qu’est ce qu’un « conflit d’intérêts » ?

Me BUFFLER : le conflit d’intérêts est visé par les tous premiers articles du règlement national de la profession d’avocat, c’est vous dire si les avocats savent ce qu’est le conflit d’intérêts. Surtout, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a developpé une jurisprudence à ce sujet.

Par principe les conflits d’intérêts sont interdits.

Dans le cas des avocats, sa déontologie lui impose de refuser d’être le conseil de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou simplement s’il existe un risque d’un tel conflit. Plus généralement l’avocat doit s’abstenir de s’occuper d’une affaire lorsque son indépendance risque de ne plus être entière.

Si l’on transpose cette approche du conflit d’intérêts à notre Ministre du Travail, cela signifie qu’en tant que ministre il doit s’abstenir de traiter d’affaires pour lesquelles son indépendance risquerait de ne plus être entière.

Mme VIAL : et donc ?

Me BUFFLER : eh bien, en tant que ministre du budget chargé de la politique fiscale de la France, on voit mal comment son indépendance ne risquait pas d’être mise à mal. En effet, alors même qu’en tant que Ministre du budget M. WOERTH était chargé de faire entrer les sous dans les caisses de l’Etat, sa femme était employée par la 3e fortune de France pour, si l’on en croit Le Temps de Genève, se rendre régulièrement en Suisse pour de toute évidence faire autre chose que du tourisme.

Il y a de toute évidence un malaise qui ne ferait que s’amplifier s’il devait y avoir des discussions sur l’oreiller à propos de leurs dossiers respectifs.

Et je n’aborde pas là le second conflit d’intérêts concernant M. WOERTH, lequel n’a pas manqué de cumuler les fonctions de ministre du budget avec celles de trésorier d’un parti politique.

Mme VIAL : pourtant le Président de la République a déclaré que M. WOERTH était un homme profondément honnête qui serait uniquement victime de calomnie. L’enquête de l’Inspection Générale des Finances n’a au demeurant rien décelé d’irrégulier.

Me BUFFLER : mais le conflit d’intérêts n’a que faire de l’honnêteté réelle ou supposée du ministre de Travail. A partir du moment où l’indépendance du ministre, ou de l’avocat, risque, et je dis bien « risque », de ne plus être entière, il doit refuser le poste ou le dossier.

L’intérêt du principe de la prohibition de tout conflit d’intérêts est qu’il n’y a pas à chercher à démontrer la culpabilité de la personne mise en cause. A partir du moment où le citoyen ou le justiciable est légitimement en droit de se poser des questions quant à l’indépendance de son ministre ou de son avocat, c’est qu’il y a conflit d’intérêts et seul le refus du poste ou du dossier peut y mettre fin.

Mme VIAL : à ce compte là, c’est la chasse aux sorcières comme au temps du maccarthysme. Il suffit d’être simplement suspecté pour être inquiété et contraint de démissionner.

Me BUFFLER : non, bien sûr. Le mot important est « légitimement ». Un ministre doit refuser un poste, ou en démissionner, si le citoyen peut légitimement s’interroger quant à son indépendance.

Dans le cas de l’affaire WOERTH, au vu des diverses révélations que nous subissons depuis plusieurs semaines, je crois sincèrement que le citoyen peut légitimement s’interroger quant à l’indépendance de son ex-ministre du budget.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.