Archive dans novembre 2010

Le harcèlement psychologique au sein du couple

Chronique novembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, au mois de juillet dernier le Parlement a adopté une nouvelle loi sanctionnant le harcèlement psychologique au sein du couple. Quelle est la nouveauté de ce texte qui est un peu passé inaperçu ?

Me BUFFLER : le harcèlement psychologique au sein du couple ne doit pas être confondu avec le harcèlement moral et/ou sexuel au travail. Le harcèlement psychologique est un nouveau chef de condamnation dans le cadre des violences conjugales et n’a strictement rien à voir avec le harcèlement que peut subir un employé dans le cadre de son activité professionnelle.

Le harcèlement psychologique au sein du couple est défini dans un nouvel article 222-33-2-1 du code pénal. Il définit ce nouveau délit comme le fait de « harceler son conjoint, son partenaire lié par un PACS ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. » Ce harcèlement est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende s’il a causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

Mme VIAL : le harcèlement psychologique au sein du couple n’était-il pas déjà sanctionné dans le cadre des violences conjugales ?

Me BUFFLER : non, absolument pas. Seules les violences physiques avérées, c’est-à-dire certificat médical ou témoignages probants à l’appui, faisaient l’objet d’une condamnation. En l’absence d’atteinte à l’intégrité physique du partenaire, aucune sanction pénale n’était envisageable. Les violences psychiques passaient par conséquent à la trappe.

Pour ce qui est des violences physiques au sein du couple, je saisis l’occasion de la chronique d’aujourd’hui pour tordre le cou à un mythe : il est totalement faux d’affirmer que les violences conjugales ne seraient pas réprimées par les tribunaux. Bien au contraire, de par mon expérience professionnelle je peux vous assurer que si une personne porte plainte pour violences conjugales et produit un certificat médical à l’appui de sa plainte, les poursuites, et les condamnations, sont quasi systématiques. Si par le passé il y a pu y avoir un certain laxisme à ce sujet, cela fait 5/10 ans que la répression est féroce.

Mme VIAL : pour en revenir au harcèlement psychologique, que pensez-vous de cette avancée ?

Me BUFFLER : qu’il y ait une évolution du droit à ce sujet, cela est indéniable ; que ce soit une avancée, cela est plus discutable.

Tout d’abord, sur le plan pratique, quand on voit la difficulté que nous avons nous avocats à faire reconnaître par les tribunaux l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel au travail, je suis assez dubitatif quant aux chances de succès dans le cadre d’un harcèlement au sein du couple. En effet, si dans le cadre professionnel, il y le plus souvent des témoins du harcèlement dont est victime un employé, dans le cadre de violences au sein du couple cela a généralement lieu entre 4 yeux, et comme les violences psychologiques ne laissent par définition aucune trace physique, la question de la preuve me parait difficilement surmontable. En outre, pour peu que vous ayez affaire à un véritable pervers manipulateur, généralement celui-ci parvient à donner le change et à renvoyer vers l’extérieur une image sociale très positive. Je crains donc qu’il soit extrêmement difficile d’établir la preuve de violences psychologiques au sein du couple.

Ensuite, sur le principe même d’une telle condamnation, je reste assez circonspect. Quand commence le harcèlement ? Vous me direz que le problème est le même dans le cadre du harcèlement au travail, les conditions posées étant au final identiques : il faut 1. des agissements répétés 2. causant une dégradation de l’état de santé de la victime. Toutefois, la subjectivité de chacun prend une grande place. Ce qui peut paraitre inadmissible et hautement vexatoire à l’un, peut paraitre anodin à l’autre.

Par ailleurs, comment distinguer les violences psychologiques des altercations ou tensions qui émaillent souvent la vie d’un couple ?

Comme le disait le représentant de l’Union syndicale des magistrats (USM) au Monde en février dernier : »Etre désagréable de manière répétée, critiquer sans cesse sa compagne, est-ce une violence psychologique au sens pénal ? Il y a un vrai risque d’arbitraire qui va autoriser la justice à s’immiscer dans la vie privée des couples. »

Enfin, si les hommes ont généralement le monopole des coups, quand il s’agit de dénigrer ou d’humilier son partenaire les femmes n’ont rien à envier aux hommes. Ce nouveau délit risque donc de se retourner contre les femmes, notamment celles victimes de violences physiques, femmes que ce texte avait initialement pour but de protéger.

Je ne suis donc vraiment pas persuadé que ce nouveau délit de harcèlement psychologique au sein du couple soit un progrès.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

L’expertise judiciaire

Chronique novembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 octobre dernier nous apprenions qu’en 2004 un texan avait probablement été exécuté à tort pour le meurtre de ses filles, les experts s’étant totalement fourvoyés en concluant que l’incendie à l’origine de la mort de ses filles était volontaire.

Au vu de ce fait divers absolument dramatique, que doit-on penser des expertises judiciaires ?

Me BUFFLER : le pire. Il y a une boutade d’avocats à ce sujet : « réunissez 2 experts et vous aurez 3 avis différents ». Cette boutade n’est malheureusement pas très loin de la réalité

Mme VIAL : c’est-à-dire ?

Me BUFFLER : 2 exemples.

Le 1er : je défendais il y a quelques années un agent immobilier qui était accusé par un acquéreur d’avoir voulu le tromper sur le métrage de la maison en indiquant 120 m² sans autre précision. Or, cette surface correspondait à la surface au sol et non à la surface habitable de la maison, laquelle n’était que de 100 m². L’acquéreur réclamait dès lors une baisse de prix de 20% au titre des m² perdus.

La question qui se posait était de savoir si en l’absence de précision, les m² indiqués par un agent correspondent à la surface au sol ou à la surface habitable du bien en vente.

Un expert a été nommé pour répondre à cette question. L’expert a rendu son pré-rapport en affirmant qu’il n’y avait aucun usage en la matière et que dès lors l’agent était libre d’annoncer les m² qui lui convenait.

Malheureusement l’expert est décédé avant de déposer son rapport définitif, si bien qu’il a fallu mandater un 2e expert. Eh bien que croyez-vous qu’il est advenu ? Le second expert a pris exactement le contre-pied du 1er expert et a affirmé qu’en l’absence de précision, l’usage veut que ce soit la surface habitable qui soit indiquée.

Au final l’acquéreur a perdu son procès mais cela démontre à l’évidence que les experts détiennent rarement la vérité absolue et qu’il faut se méfier comme de la peste de leurs conclusions.

Mme VIAL : vous parliez d’un 2e exemple.

Me BUFFLER : oui. Dans le même registre, une expertise judiciaire a été ordonnée afin de chiffrer le cout de réparation d’une fuite dans l’appartement d’une copropriété.

Le 1er expert a conclu qu’il fallait refaire toute la toiture de la copropriété ; coût : près de 100 000 euros.

Une 2e expertise a eu lieu 6 mois plus tard avec un 2e expert. Celui-ci a cette fois estimé qu’une simple reprise de la cheminée devait suffire à régler le problème de fuite. Coût : 17 000 euros, soit une différence du simple au quintuple !

Qui a raison, qui a tort ? Bien malin qui peut y répondre. En tout état de cause, vous vous rendez compte qu’une expertise doit toujours être prise avec des pincettes, ce que les juges ont tendance à oublier. Il n’y a qu’à voir le procès d’Outreau où nombre d’experts psychologues n’ont pas hésité à conclure à la véracité de certains témoignages en vérité parfaitement imaginaires.

L’expertise est trop souvent une béquille sur laquelle se repose certains juges en manquent d’autres éléments probants.

Mme VIAL : l’expertise reste toutefois bien souvent un passage obligé. Qui paie et combien cela coûte-il ?

Me BUFFLER : pour ce qui est du coût, la rémunération de l’expert, même pour l’expertise la plus basique, est rarement inférieure à 800 euros. Toutefois, le plus souvent cela tourne aux environs de 1500 / 2500 euros et dans des matières complexes, ou lorsque les points à étudier sont nombreux, cela peut coûter bien plus.

Pour ce qui est de la prise en charge des frais d’expertise, par principe c’est celui qui la demande qui fait l’avance des frais. « Faire l’avance » signifie que si au final le plaignant obtient gain de cause, son adversaire devra lui rembourser les frais d’expertise en sus de toutes les autres sommes auxquelles il est condamné. Par contre si l’expert estime que le demandeur a tort, ce dernier en sera quitte pour avoir demandé et réglé une expertise pour rien.

Certaines assurances protection juridique prennent toutefois en charge les frais d’expertise.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

L’arbitrage

Chronique novembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, début septembre nous apprenions que l’Etat français était condamné à verser 285 millions d’euros à Bernard TAPIE, soit environ 200 millions après impôt. Toutefois ce n’est pas un tribunal classique qui a prononcé cette condamnation mais après une procédure d’arbitrage.

Qu’est ce que l’abitrage ?

Me BUFFLER : eh bien, il faut savoir que lorsque vous êtes en conflit avec une personne ou une entreprise, vous n’avez pas le droit de vous faire justice vous-même en organisant une descente chez votre adversaire pour obtenir gain de cause.

Vous n’avez que 2 solutions : soit vous faites appel à la justice de votre pays, ou de l’État où se trouve votre adversaire, soit vous faites appel à l’arbitrage.

Dans le premier cas, vous devez passer par un tribunal. Les tribunaux sont censés être impartiaux et appliquer le droit de la même manière pour tout le monde, ce qui est généralement le cas dans nos démocraties occidentales (quoique).

Toutefois, dans de nombreux États la justice est encore balbutiante et les juges corruptibles, voire corrompus.

Si vous avez un litige à l’étranger et que vous vous défiez du système judiciaire du pays étranger, il faut donc abandonner l’idée de faire trancher votre litige par les tribunaux de cet état.

Mme VIAL : d’où la 2e solution, l’arbitrage…

Me BUFFLER : exactement. L’arbitrage permet de se passer des juges d’un pays. En gros, plutôt que de faire appel aux tribunaux d’un pays, les parties en conflit vont se mettre d’accord pour nommer elles-mêmes leurs propres juges, appelés arbitres, qui trancheront le litige en-dehors de tout tribunal étatique.

Généralement il y a 3 arbitres, chaque partie en nommant 1, les 2 arbitres désignés se mettant d’accord sur le nom d’un 3e.

Les arbitres choisis sont le plus souvent des professeurs de droit, des avocats, des juristes, …, en tout cas des professionnels du droit, mais pas seulement, reconnus pour leur compétence.

C’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de Bernard TAPIE : 3 arbitres ont été nommés dont un professeur de droit renommé, ancien président du conseil constitutionnel.

Par souci de simplification il existe une multitude de chambres d’arbitrage (dans toutes la grandes villes du monde) qui offrent des tribunaux arbitraux clé en main, c’est-à-dire que les parties n’ont pas à se casser la tête à trouver des locaux et 3 arbitres, tout est déjà fourni.

Évidemment, tout cela a un coût. L’arbitrage, c’est une justice privée souvent onéreuse.

Mme VIAL : à vous écouter, cette justice semble réservée aux seuls pays en voie de développement au système judiciaire fragile. N’y en a-t-il pas dans les pays occidentaux ?

Me BUFFLER : si, bien sûr, et c’est même là que se trouve le plus grand nombre de chambres d’arbitrage. A Strasbourg par exemple, vous avez la Cour Européenne d’Arbitrage ou la chambre arbitrale de la bourse de commerce.

Le recours à l’arbitrage ne se fait toutefois pas pour les mêmes raisons que dans les pays émergents. Ce n’est pas tant des juges que l’on se défie (quoique) que de la lenteur des tribunaux et/ou de la méconnaissance des juges des matières abordées (domaines très techniques, usages commerciaux particuliers, etc). L’arbitrage est dès lors l’assurance pour les parties en conflit d’une justice plus rapide et/ou plus qualifiée. En matière de brevet par exemple, il peut être intéressant de faire appel à des arbitres qui ont une formation d’ingénieur conseil plutôt qu’à des juges juristes pur jus.

Mme VIAL : dans le cas de B. TAPIE, pourquoi avoir eu recours à l’arbitrage, surtout de la part de l’État français ? L’Etat se défiait-il de ses propres juges ?

Me BUFFLER : c’est le grand mystère. Quel mouche a pu piquer l’État français pour faire appel à l’arbitrage, surtout que le résultat lui a été catastrophique ?

Les arbitres ont donné une réponse : le recours à l’arbitrage était (je cite) la seule voie permettant de traiter en même temps toutes les instances en cours et ce définitivement puisque les parties ont expressément renoncé à l’appel.

Beaucoup y ont surtout vu l’immixtion du politique. F. BAYROU, pour ne pas le nommer, a estimé par exemple que la procédure arbitrale avait en vérité été imposée par crainte de décisions de justice impartiales défavorables à M. Tapie.

Ce qui est certain en tout cas c’est que là où une victime de viol reçoit au mieux 15 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, M. TAPIE s’est vu octroyer par les arbitres 45 millions d’euros. Si toutes les personnes roulées par leurs banques pouvaient toucher un tel pactole…!

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La sentence arbitrale concernant B. Tapie est consultable à l’adresse : http://fr.calameo.com/read/000000009c8e3b3477360