Archive dans janvier 2011

Le sexe par surprise

Chronique janvier 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, en décembre dernier nous apprenions que Julian ASSANGE, le fondateur de Wikileaks, était accusé en Suède de « sexe par surprise ». Son avocat anglais s’est gaussé d’un tel chef de poursuite. Que faut-il en penser ?

Me BUFFLER : l’infraction retenue contre Julian ASSANGE paraît en effet bien étrange, voire relever du gag, laissant planer le doute quant au sérieux de l’infraction qui lui est reprochée et des buts recherchés.

Et pourtant, cette qualification de « sexe par surprise » existe bel et bien, notamment dans notre code pénal français. Il suffira de lire l’article du code pénal incriminant le viol pour en être convaincu : est constitutif d’un viol « tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Mme VIAL : comment se définit dès lors la « surprise » ?

Me BUFFLER : pour pouvoir saisir cette notion de « surprise », il faut se référer à la jurisprudence, c’est-à-dire aux différentes décisions de justice qui par le passé ont été amenées à retenir cette qualification.

Le code pénal ne fourmille pas d’exemples. Le plus fameux date de 1857. A cette époque un individu s’était introduit dans la chambre et le lit d’une femme encore endormie dont le mari était absent, et avait profité de l’erreur de cette dernière pour avoir une relation intime avec elle. Pour les auditeurs je tiens à préciser que la femme s’était rapidement rendue compte que ce n’était pas son mari et avait mis en fuite son violeur.

A travers cet exemple on se rend bien compte qu’en l’absence de violences physiques ou morales, ou de toute pression, une condamnation pour viol aurait été totalement illusoire si la qualification de « viol par surprise » n’existait pas.

De même, pour le cas d’un médecin qui en consultation procéderait à des actes médicaux invasifs et les détournerait à des fins purement sexuelles, le viol par surprise pourrait être retenu en l’absence de toute contrainte physique ou morale.

Mme VIAL : dès lors la surprise se définirait comme le fait d’obtenir frauduleusement le consentement de la victime ?

Me BUFFLER : oui mais pas n’importe quelle fraude. Il faut que les manoeuvres et autres dissimulations dont use le violeur visent à tromper la victime quant à sa personne ou l’acte lui-même. Car en matière de séduction on peut reprendre l’adage propre au mariage : « trompe qui peut ».

Ainsi, si votre partenaire vous a trompé en ce qui concerne l’épaisseur de son portefeuille, de ses diplômes, de ses qualités humaines ou convictions religieuses dans le seul but d’avoir une relation sexuelle, vous n’avez aucun espoir, fort heureusement, d’obtenir sa condamnation pour viol. Vous obtiendrez éventuellement l’annulation du mariage (à supposer que vous soyez marié) si vous parvenez à démontrer qu’il y a eu tromperie sur une qualité essentielle mais il ne s’agit plus de droit pénal.

Mme VIAL : et dans le cas de J. ASSANGE ?

Me BUFFLER : les faits qui lui sont reprochés sont assez fumeux si l’on en croit les médias internationaux. Toutefois, en l’absence d’éclaircissements il me paraît difficile d’émettre le moindre avis.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage surl’actualité juridique.

La réforme du surendettement

Chronique janvier 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 11 janvier 2011 un sexagénaire surendetté a tué sa mère, sa femme et sa fille avant de se suicider. Le tueur a expliqué son geste par des dettes issues de prêts à la consommation pour un montant de «plusieurs milliers d’euros». Pourtant, fin juillet, une loi réformant le surendettement a été adoptée. Cette loi n’a t-elle rien changé en la matière ?

Me BUFFLER : les nouveauté de cette loi sont multiples et applicables depuis novembre dernier. Les modifications les plus notoires sont :

Premièrement, la suspension automatique des mesures d’exécution à la recevabilité du dossier de surendettement par la Banque de France.

Cela signifie qu’à partir du moment où la Banque de France, où vous devez déposer votre dossier de surendettement, vous notifie la recevabilité de votre dossier (càd que toutes les pièces justificatives ont été produites, votre bonne foi n’a pas été remise en cause et le montant de vos dettes est effectivement inquiétant), plus aucun créancier ne peut chercher à saisir vos comptes bancaires, votre voiture ou votre maison. Votre patrimoine est gelé jusqu’à l’adoption définitive du plan de rétablissement ou de remboursement.

Auparavant, il fallait saisir le juge pour solliciter une telle suspension des poursuites.

Deuxièmement la durée d’inscription au Fichier national des Incidents de Crédits passe de 8 à 5 ans suite à une procédure de rétablissement personnel et de 10 à 5 ans dans le cas d’un plan de remboursement.

Enfin, l’accès à la procédure de surendettement n’est plus fermée aux propriétaires surendettés. En effet, auparavant, si une personne surendettée était propriétaire, elle devait d’abord vendre sa maison pour payer ses créanciers, et c’était seulement si le prix de vente de la maison ne permettait pas de solder la totalité des dettes que la personne surendettée pouvait saisir la Banque de France au titre du reliquat de ses dettes.

Pour autant, les nouveautés en matière de crédits à la consommation et de crédits revolving qui sont généralement à l’origine de beaucoup de situation de surendettement,sont maigres.

Mme VIAL : c’est-à-dire ?

Me BUFFLER : la loi prévoit :

– un encadrement de la publicité avec interdiction des mentions qui suggèrent qu’un crédit améliore la situation financière ou le budget de l’emprunteur, ; l’obligation de faire figurer le taux d’intérêt du crédit dans une taille de caractère plus importante que celle utilisée pour le taux d’intérêt promotionnel ;

– que chaque échéance de crédit renouvelable comprend obligatoirement un amortissement minimum du capital restant dû, ce qui évitera que certains emprunteurs ne paient chaque mois que des intérêts sans que jamais le capital emprunté ne baisse ;

– l’obligation pour les prêteurs de consulter le fichier FICP avant d’accorder un crédit ;

Bref, c’est mieux que rien mais cela ne va pas révolutionner les pratiques des organismes de crédits. L’ensemble des mesures proposées, qui doivent entrer en vigueur en avril/mai 2011, tiennent plus d’une charte de bonne conduite que d’un véritable contrôle.

Mme VIAL : que suggérerez-vous dès lors ?

Me BUFFLER : la mise en place d’un registre national des crédits aux particuliers qui recenserait l’ensemble des crédits souscrits par une personne. Cela éviterait que des personnes n’empruntent plus qu’elle ne peuvent rembourser. Car, actuellement, le contrôle de solvabilité exercé par les organismes de crédit pour des crédits à la consommation est très limité, voire nul.

Cette absence de contrôle s’explique aisément : avec des taux d’intérêt de 15% à 20% ces crédits sont hautement rentables pour les banques. Et si un emprunteur fait parfois défaillance, les intérêts que paient les autres couvrent largement les pertes.

Dans ma pratique professionnelle, mon record a été 17 crédits à la consommation pour un ménage. A peu près tous les organismes de crédit étaient représentés pour une somme globale de 70 000 euros.

Seul un registre positif des crédits souscrits éviterait que certains ménages usent, voire abusent, avec le consentement des organismes de crédit des crédits à la consommation.

Un tel registre existe déjà dans plusieurs pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique. La France s’y est toujours refusée sous le poids du lobby des banques. Il est grand temps que cela change.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.