Archive dans janvier 2012

Les jurés populaires en correctionnelle

Chronique décembre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, la loi sur les jurés populaires en correctionnelle a été définitivement votée en juillet dernier. Elle entre en vigueur au 1er janvier 2012. Quelle est la nouveauté de ce texte en matière pénale ?

Me BUFFLER : tout d’abord, je tiens à préciser que c’est une nouveauté totalement aberrante  :

En premier lieu, il convient de rappeler qu’en France la présence d’un jury populaire a été peu à peu éradiquée de nos tribunaux depuis le Moyen-Age pour complètement disparaître aujourd’hui, sauf aux assises.

Cela tient au fait que depuis des siècles la droite s’est toujours échinée à réduire la place des jurés populaires dans les instances de jugement, les estimant pas assez sévères. Et voilà-t-il pas qu’aujourd’hui cette même droite veut subitement les réintroduire, en estimant cette fois-ci que ce seraient les juges qui seraient trop laxistes. On marche manifestement sur la tête.

En 2e lieu, si notre Président de la République a fait valider la présence de 2 jurés citoyens dans tout procès correctionnel, de l’autre côté son gouvernement a approuvé l’idée de supprimer tout jury populaire dans les Cours d’assises en première instance.

Ainsi, d’un côté on annonce à grand bruit que la présence de jurés serait souhaitable pour juger de simples délits, pour de l’autre s’en dispenser quand il s’agit de juger les crimes les plus graves.

Tout cela n’a ni queue, ni tête. Le gouvernement s’en est finalement rendu compte et a finalement décidé de maintenir les jurés en cour d’assises. Il en a toutefois réduit le nombre d’un tiers par souci d’économie.

Enfin, en 3e lieu, je m’interroge quant aux moyens de financer une telle réforme alors que les caisses du Ministère de la Justice sont déjà plus que vides.

Mme VIAL : en pratique, comment vont intervenir ces nouveaux jurés ?

Me BUFFLER : à compter de 2012, pour les atteintes aux personnes les plus graves (violences aggravées, agressions sexuelles, vols avec violences) 2 citoyens tirés aux sorts siégeront au côtés des 3 traditionnels magistrats du tribunal correctionnel, pour une semaine environ.

Quand on sait comment se passent les délibérés aux assises – pour lesquels tous les jurés que j’ai pu interroger m’ont tous confirmé que les débats étaient menés par les 3 magistrats professionnels, les 9 jurés citoyens intervenant peu – il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour deviner que les 2 jurés citoyens, sans aucune expérience juridique, seront de bien peu de poids face aux 3 juges professionnels.

En outre, si aux assises, domaine auparavant réservé aux jurés populaires, la procédure est orale, en correctionnel, il n’en est rien. Dès lors, quand et comment les jurés populaires vont-il pouvoir prendre connaissance des dossiers correctionnels, certains pouvant faire des centaines, voire des milliers de pages ? Ces jurés populaires ont toutes les chances de faire tapisserie.

Bref, tout çà pour çà.

Mme VIAL : cette présence des jurés populaires se limite-elle au seul tribunal correctionnel ?

Me BUFFLER : non, effectivement. Suite à l’assassinat de la jeune Laetitia à Pornic, le gouvernement a également entendu étendre la participation des jurés citoyens aux décision de libérations conditionnelles pour les peines égales ou supérieures à 5 ans.

Une fois de plus on imagine que les jurés citoyens seront plus stricts que les juges professionnels, ce qui n’est nullement acquis et pas forcément souhaitable puisqu’une sortie de prison préparée et anticipée, quoi qu’en pense la vox populi, est toujours moins source de récidive qu’une remise en liberté contrainte en fin de peine.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Juger le Président de la République

Chronique janvier 2012

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 décembre dernier J. CHIRAC, ancien Président de la République, a été condamné a deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris au titre d’emplois de complaisance à la ville de Paris au début des années 1990. Pourquoi tant de temps, presque 20 ans entre les infractions et la condamnation ?

Me BUFFLER : ce retard à l’atterrissage (et à l’allumage au demeurant) est dû au statut de J. CHIRAC, Président de la République en exercice au moment des poursuites.

Le statut pénal du Président de la République en exercice est fixé aux articles 67 et 68 de la Constitution française. Dans leur version initiale, ces articles pouvaient prêter à confusion. Ainsi en 1999 le Conseil Constitutionnel en a donné une interprétation qui a été assez largement contredite par la Cour de Cassation 2 ans plus tard.

Au final en 2007 le Parlement a adoptée une nouvelle version des articles 67 et 68. Il est maintenant clairement indiqué que, durant son mandat, le Président de la République ne peut être requis de témoigner, ni faire l’objet de la moindre action. Il faut attendre la fin de ses fonctions pour lui intenter un procès, le convoquer et a fortiori le condamner.

Ainsi, tant que J. CHIRAC était en fonction, tout procès, toute instruction, était bloqué dans l’attente de la fin de son mandat.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut donc être poursuivi, encore moins jugé, tant qu’il est en fonction ?

Me BUFFLER : tout à fait, sauf en cas de « manquement à ses devoirs incompatible avec l’exercice de son mandat ». En pareille hypothèse, une procédure de destitution assez proche dans l’esprit de la procédure d’impeachment américaine peut être lancée. Ainsi, à l’initiative de l’Assemblée Nationale ou du Sénat, et si une majorité des 2/3 de chaque assemblée la vote, une destitution du Président de la République est possible.

Afin de ne pas perturber le fonctionnement régulier des institutions publiques ainsi que la continuité de l’État, il est bien évident que cette procédure ne doit être appliquée que dans des cas gravissimes.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut être poursuivi, ni jugé, quand il est en fonction. Mais peut-il intenter un procès ?

Me BUFFLER : eh bien, c’est toute la question. D’un côté, pendant son mandat, le Président de la République est inattaquable, mais de l’autre il peut intenter un procès à qui bon lui semble sans risquer le moindre retour de bâton si son action devait être jugée abusive ou mal-fondée. Il y a de toute évidence un déséquilibre difficilement acceptable.

La Cour de Cassation sera prochainement amenée à faire connaître sa position sur ce point dans le cadre de l’affaire des comptes piratés (en 2008 N. SARKOZY avait vu son compte bancaire privé piraté et débité par des escrocs).

Pour l’heure la constitution de partie civile de N. SARKOZY a été jugée recevable, étant précisé que le tribunal de première instance avait jugée qu’il fallait attendre la fin de son mandat pour statuer sur sa demande de dommages et intérêts, ce qui paraît une position judicieuse. On ne peut pas en effet renvoyer en fin de mandat les affaires pour lesquelles on est défendeur pour bénéficier par ailleurs de la célérité normale de la justice quand on est en demande.

Mme VIAL : enfin, sauf erreur, tout ancien Président de la République est membre de droit du Conseil Constitutionnel. Du fait de sa condamnation pénale, J. CHIRAC ne perd-il pas son droit de siéger au Conseil Constitutionnel ?

Me BUFFLER : non, pas du tout, et c’est bien tout le problème : hors empêchement physique ou incompatibilité, la Constitution française ne prévoit pas de cas de révocation des membres du Conseil Constitutionnel, encore moins pour les anciens Président de la République qui en sont membres à vie.

Dans l’absolu, en l’état des textes actuels, même condamné et détenu, rien n’empêcherait un ancien Président de la République de continuera à siéger au Conseil Constitutionnel.

Cela est bien évidemment difficilement acceptable, d’autant que le rôle du Conseil Constitutionnel s’est grandement développé depuis l’adoption de la QPC en 2010.

Il convient manifestement de revoir la législation sur ce point.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage.

Timbre de 35 euros : fin ?

A compter du lundi 16 janvier 2012 la contribution pour l’aide juridique doit obligatoirement être acquittée par les avocats par l’achat de timbres dématérialisés sur le site « www.timbre.justice.gouv.fr ».

Problème : si l’ensemble des TGi semble avoir receptionné le matériel (douchettes) permettant la lecture des timbres dématérialisés, ils ne seraient pas encore tous opérationnels au 16 janvier 2012.

L’usage des timbres papier devrait donc perdurer encore quelques jours (semaines ?).