Archive dans octobre 2010

La garde à vue à la Française jugée contraire à la Convention européenne des droits de l’homme

Par trois arrêts de principe du 19 octobre 2010, la Cour de cassation vient de juger que les règles de la garde à vue actuellement applicables en France, y compris pour les régimes dérogatoires concernant la criminalité organisée et le terrorisme, violent les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à un procès équitable dont notamment le droit à l’assistance d’un avocat.

Pour les rendre conformes aux exigences conventionnelles, les trois principes suivants doivent être respectés :

– la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit de garder le silence ;

– la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat dans des conditions lui permettant d’organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l’avocat doit pouvoir participer ;

– la restriction au droit d’être assisté, dès le début de la mesure, par un avocat, doit être justifiée par des nécessités impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché.

La Cour de cassation a toutefois estimé nécessaire de limiter la portée de ses arrêts en en écartant l’application immédiate, faisant appel au principe de sécurité juridique (il sort d’où celui là ?). Ainsi, la Cour de cassation reconnait que les droits les plus élémentaires des personnes gardées à vue sont bafoués mais que, par sécurité juridique, les forces de police et de gendarmerie peuvent continuer à faire comme avant au moins encore pour quelques mois. C’est du grand n’importe quoi, à l’image de la décision du Conseil Constitutionnel il y a quelques mois.

Le dépaysement

Chronique octobre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions que le dossier WOERTH- BETTENCOURT aux mains des juges de NANTERRE allait être dépaysé. Que signifie ce « dépaysement » ?

Me BUFFLER : pour comprendre ce qu’est le « dépaysement » d’un dossier, il faut d’abord expliquer comment un dossier est attribué à tel ou tel tribunal.

Pour faire simple, quand un justiciable veut saisir la justice, la première question qui se pose est de savoir devant quel tribunal son action doit être introduite ; quel est le tribunal compétent aussi bien géographiquement que compte tenu de l’objet du litige ?

En matière civile, le tribunal compétent géographiquement est généralement celui du domicile de la personne poursuivie. En matière pénal, c’est généralement celui du lieu de l’infraction. Il y a bien évidemment des exceptions.

Pour ce qui est de l’objet du litige, la plupart des tribunaux sont spécialisés dans un type de contentieux. Ainsi, au conseil des prud’hommes les litiges relatifs au droit du travail ; au tribunal administratif les affaires impliquant une administration.

Dans le cadre de l’affaire WOERTH- BETTENCOURT, il s’agit d’une (ou des) infraction(s) pénales ayant eu lieu à Neuilly-sur-Seine, cette ville dépendant du tribunal de NANTERRE.

Au vu des règles de compétences territoriale et matérielle énoncées précédemment, il est donc tout à fait logique que ce soit le tribunal correctionnel de NANTERRE qui soit saisi de l’affaire.

Mme VIAL : mais dès lors pourquoi un « dépaysement » ?

Me BUFFLER : eh bien, dans certains cas, les codes de procédure civile et pénale admettent qu’il est parfois nécessaire de déroger aux règles normales de compétences territoriale et matérielle ; il est parfois indispensable de confier un litige à une juridiction autre que celle normalement compétente.

En matière pénale par exemple, en cas de suspicion légitime envers un juge, la cour de cassation a le pouvoir de retirer l’affaire au tribunal concerné. Par exemple si un juge d’instruction en charge d’un dossier a fait savoir publiquement son hostilité au mis en examen dont il doit instruire l’affaire, la cour de cassation peut confier le dossier à un autre juge.

En matière civile, l’article 47 du CPC précise que lorsqu’un juge ou un avocat est poursuivi devant le tribunal où il exerce habituellement son métier, la partie adverse peut demander que ce soit un autre tribunal qui tranche le litige, ce qui se comprend aisément.

Mme VIAL : qu’en est-il dans le cas de l’affaire WOERTH- BETTENCOURT ?

Me BUFFLER : cette affaire présente 2 volets.

Le premier concerne l’abus de faiblesse confié au tribunal correctionnel de NANTERRE. Dans ce cas le Procureur Général de VERSAILLES a effectivement la possibilité de demander le dépaysement du dossier sur la base d’une suspicion légitime envers un des juges composant le tribunal correctionnel. C’est la cour de cassation qui devra juger si cette suspicion est effectivement légitime et si un dépaysement s’impose.

Pour ce qui est du 2e volet, il s’agit des enquêtes menées par le Procureur de la République de NANTERRE. Dans ce cas le Procureur Général de VERSAILLES n’a absolument aucun moyen juridique de retirer le dossier au Procureur de NANTERRE.

Mme VIAL : ainsi, seul le 1er volet peut être concerné par un dépaysement …

Me BUFFLER : exactement. Le Procureur Général de VERSAILLES veut faire croire que dans un souci d’apaisement il souhaite que toute l’affaire l’affaire WOERTH- BETTENCOURT soit retirée aux juges de NANTERRE alors que dans les faits seule la partie du dossier entre les mains d’un juge indépendant pourra effectivement l’être. Le Procureur de NANTERRE, proche de N. SARKOZY si l’on en croit la presse, et sous le pouvoir hiérarchique du Garde des Sceaux, pourra quant à lui continuer à faire comme avant.

Comme l’a déclaré le président de l’Union syndicale des magistrats, cela ressemble effectivement à une « opération de manipulation » de la part du Procureur Général de VERSAILLES.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La réforme de la carte judiciaire : une réforme ratée

En 2007, lors de la campagne des présidentielles, Nicolas Sarkozy avait annoncé qu’il fallait absolument revoir la carte judiciaire des tribunaux français. Tout le monde était d’accord. Résultat, une réforme consensuelle qui aurait pu être menée à la satisfaction de tous s’est transformée en un véritable fiasco car, une fois élu, Nicolas Sarkozy a effectivement revu la carte judiciaire mais sans consulter qui que ce soit (juges, avocats, greffiers ou justiciables). La réforme a ainsi été menée de Paris au mépris des réalités locales.

En Nord-Alsace cette réforme ubuesque s’est concrétisée par la disparation des tribunaux d’instance de Brumath et Wissembourg qui ont dû fusionner avec celui de Haguenau.

La réforme s’étant faite dans la précipitation et sans la moindre concertation, à Haguenau il a fallu trouver en urgence des locaux pour accueillir les personnels et dossiers en provenance de Brumath et Wissembourg. Tout a été envisagé : occuper des locaux militaires désaffectés, déposer des préfabriqués sur un terrain vague le long de la voie ferrée, … Et pourquoi pas louer une péniche sur la Moder tant qu’on y est ? Face au ridicule de la situation et au manque manifeste de locaux disponibles, les services judiciaires ont finalement décidé d’entasser tout le monde dans les anciens locaux du tribunal d’instance de Haguenau, au besoin en mettant 4 greffiers par bureau.

Le plus surprenant est qu’au départ les tribunaux d’instance n’étaient pas vraiment concernés par la réforme. C’étaient surtout les tribunaux de grande instance faisant doublons qui étaient visés, notamment en Alsace ceux de Strasbourg et Saverne ou, dans une moindre mesure, ceux de Colmar et Mulhouse. Toutefois, face aux levers de boucliers locaux, le Ministère de la Justice a reculé et s’est finalement rabattu sur les tribunaux d’instance dont les élus locaux sont beaucoup moins remuants, voire carrément soumis. Brumath en est un bon exemple.

Ainsi, par un tour de passe-passe, les tribunaux de grande instance qui devaient initialement disparaître se sont presque tous maintenus, alors que les tribunaux d’instance (qui étaient à ce jour encore les seuls tribunaux à fonctionner à peu près normalement avec des délais relativement courts et respectés) se sont trouvés à devoir fusionner en urgence.

La catastrophe n’est pas loin. A Haguenau par exemple, les justiciables se retrouvent aujourd’hui avec des audiences où jusqu’à 140 dossiers sont appelés en même temps, soit des heures d’attente. Les salles d’audience sont bondées et les délais largement dépassés, sans parler des kilomètres supplémentaires que doivent effectuer les justiciables, notamment depuis Wissembourg.

Et dire que l’ensemble de cette réforme a été menée sous un prétendu souci d’efficacité et d’économie. On pourrait en rigoler si le même drame ne se jouait pas dans les hôpitaux, l’éducation nationale, Pôle Emploi, la police, l’armée, … bref tout ce qui fait qu’un État existe et fonctionne.