La vidéosurveillance

La vidéosurveillance

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, suite aux récents incidents intervenus dans le quartier de La Villeneuve à Grenoble, le Président de la République a annoncé l’installation de plus de 60 000 caméras de surveillance supplémentaires dans les lieux publics. Quelle est la vision de l’avocat sur cette extension de la télésurveillance ?

Me BUFFLER : en-dehors de l’aspect « big brother », c’est-à-dire cet aspect déplaisant d’être observé à tout instant et à tout endroit, lequel ne peut bien évidemment manquer d’interpeller, il convient de se poser la question du bilan de la vidéosurveillance depuis les 10 ou 20 ans qu’elle est utilisée.

Or, son bilan est loin d’être positif, c’est le moins que l’on puisse dire.

En GB ou aux Etats-Unis où l’usage de la vidéosurveillance est bien plus développé qu’en France, les études menées concluent toutes à un effet sur la délinquance quasi nul. Seuls 3% des enquêtes seraient résolues grâce à la vidéosurveillance, et son effet dissuasif est apparemment tout aussi limité. En 2008 Scotland Yard n’a pas hésité à parler de fiasco total en matière de vidéosurveillance.

A ce propos, un spécialiste anglais de la videosurveillance a fait observer avec justesse que si les caméras garantissaient la sécurité des citoyens, Londres, la ville plus vidéosurveillée du monde avec quelques 500 000 caméras serait aussi la plus sûre, ce qui bien sûr est loin d’être le cas.

Mme VIAL : quelles sont les raisons de cet échec ?

Me BUFFLER : apparemment le problème n’est pas tant de filmer que de faire le tri.

A l’image des services secrets américains qui semblent submergés d’informations sans pouvoir opérer une hiérarchie entre celles qui sont de premières importances et celles qui sont sans aucun intérêt, la police n’arrive pas à faire face à la profusion d’images, de qualité très inégale.

Un seul exemple : il y a 2 ans j’ai été amené à défendre une personne suspectée d’avoir volontairement tiré des coups de carabine sur un commerçant, le manquant fort heureusement. La scène s’était passée dans un quartier sensible de Strasbourg couvert par plusieurs caméras vidéo.

Eh bien, non seulement le tireur avait prévu le coup et couvert au préalable sa tête d’un sac en plastique pour ne pas être reconnu mais, surtout, alors même qu’un coup de vent lui avait fait perdre sa cagoule de fortune, les images prises n’ont finalement servi à rien car elles étaient de bien trop mauvaise qualité. On distinguait vaguement un jeune homme de 25 ans en jogging, profil qui court les rues.

Il ne faut pas se méprendre sur la vidéosurveilance. Ce n’est pas les « Experts Miami » où plus on zoome sur l’image plus elle devient nette. La vidéosurveillance c’est plus la video VHS de papa.

Et même quand les images sont de bonne qualité, encore faut-il des moyens humains pour les visionner en continue et les analyser.

Face à ce dernier problème, certains en Grande-Bretagne ont osé suggérer l’an dernier de proposer à des citoyens de visionner de chez eux les flux d’images, une prime étant attribuée au meilleur visionneur/voyeur. Fort heureusement ce projet a été abandonné.

Mme VIAL : votre condamnation de la vidéosurveillance est dès lors sans appel ?

Me BUFFLER : oui, et j’irai même plus loin : non seulement les caméras de surveillance portent une atteinte intolérable à la vie privée et aux libertés fondamentales compte tenu des gains sécuritaires dégagés, quasi nuls, mais de surcroit l’ensemble des moyens financiers, faramineux, mis dans la vidéosurveillance sont pris sur d’autres budgets, notamment sur celui du recrutement de policiers.

A Grenoble par exemple, en 20 ans l’agglomération grenobloise a perdu 120 postes sur 720. Vous croyez vraiment que ce sont les cameras vidéo qui vont faire le boulot à la place de la police ?

C’est de policiers dans les rues, d’ilôtiers, dont les Français ont besoin ; pas de caméras de surveillance inefficaces et à des prix prohibitifs.

Avec la vidéosurveillance on donne l’impression aux gens que la police prend des mesures mais c’est le miroir aux alouettes.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

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