La responsabilité pénale des parents

La responsabilité pénale des parents

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions qu’Eric CIOTTI, secrétaire national de l’UMP en charge de la Sécurité, préparait un texte de loi visant à condamner jusqu’à 2 ans de prison les parents dont les enfants ne respecteraient les termes de leurs condamnations.

Les défenseurs des droits de l’homme ont critiqué avec virulence cette proposition. Comment cela se fait-il ? Sauf erreur, depuis toujours les parents d’enfants mineurs sont responsables des bêtises que pourraient commettre leurs rejetons, non ?

Me BUFFLER : ce que vous dîtes est à la fois vrai et faux. En fait, pour répondre à vos interrogations, il faut bien distinguer la responsabilité civile de la responsabilité pénale.

Depuis au minimum la naissance du code civil en 1804, il est effectivement vrai que les parents sont civilement responsables des préjudices causés par leurs enfants mineurs.

Cela signifie que si un enfant de moins de 18 ans casse une vitre, vole un scooter ou blesse quelqu’un, c’est lui mais surtout ses parents qui devront indemniser la victime.

En matière pénale, cela est totalement différent. Le principe à valeur constitutionnelle est que « Nul n’est responsable que de son propre fait ». Cela signifie que personne ne peut être jugé responsable et condamné pénalement pour des infractions commises par un autre.

Ainsi, si un enfant mineur met le feu à une poubelle, feu qui se propage à tout l’immeuble causant la mort de plusieurs personnes du fait des fumées toxiques dégagées par l’incendie, ses parents seront condamnés à indemniser les victimes mais ne risqueront en aucun cas une peine de prison.

Mme VIAL : pourtant il semblerait qu’il existe déjà des cas de responsabilité pénale du fait d’autrui, non ?

Me BUFFLER : oui, effectivement, il y a bien quelques rares exceptions en matière de droit de la presse ou de débits de boissons mais ces exceptions ne sont pas transposables au cas de la responsabilité pénale des parents.

Mme VIAL : rendre les parents responsables pénalement du comportement de leurs enfants seraient donc une révolution ?

Me BUFFLER : oui, et personne n’avait osé porté atteinte à ce principe fondamental de notre droit pénal avant le régime nazi.

Mme VIAL : comment ça ?

Me BUFFLER : il faut en effet savoir que la dernière fois que le principe de la responsabilité pénale du fait d’autrui a été affirmé en France, cela l’a été en Alsace-Moselle sous le régime nazi.

Les nazis appelaient cette responsabilité du fait d’autrui « sippenhaft », c’est-à-dire la responsabilité du clan (sippen = clan en allemand) ; la responsabilité des individus était étendue à la famille.

Cela a eu une traduction très concrète en Alsace-Moselle : si un fils, un frère ou un père refusait l’incorporation de force dans la Wehrmacht, il prenait le risque de faire transférer dans un camp de travail de l’Allemagne profonde sa femme, ses enfants, ses parents, ou ses frères et soeurs, voire causer leur mort sous la torture de la Gestapo.

12 000 alsaciens ont eu à subir cette mesure pendant la 2e Guerre Mondiale.

Je ne suis pas certain que cela soit très judicieux de faire appel à l’arsenal juridique nazi pour répondre à la montée de la délinquance en France, ni d’ailleurs dans aucun autre pays du monde.

La lutte contre la délinquance ou le terrorisme ne doit pas faire perdre la tête à nos démocraties. Si nos démocraties représentent des régimes enviables et enviés, c’est bien parce que des droits et libertés fondamentaux ont été institués au bénéfice des citoyens. Il ne faudrait pas que petit bout par petit bout tous ces principes fondamentaux s’envolent.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

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