La constitution de partie civile

La constitution de partie civile

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions que la ville de Paris serait en passe de signer un protocole d’accord avec M. CHIRAC et l’UMP. En effet, la ville de Paris retirerait sa constitution de partie civile en contrepartie du versement de 2.2 millions d’euros. Cette somme correspondrait au montant des salaires indûment réglés par la ville de Paris au titre des emplois fictifs de l’ère CHIRAC.

Première question : qu’est-ce qu’une constitution de partie civile ?

Me BUFFLER : pour comprendre, il faut en revenir aux fondamentaux de notre droit : lorsque vous êtes victime d’un préjudice – matériel, physique ou moral – vous avez le droit d’être indemnisé.

Si le responsable de votre dommage refuse de vous indemniser, ou si l’indemnisation qu’il vous propose (généralement une somme d’argent) vous semble trop faible, vous pouvez saisir un tribunal qui jugera du bien fondé de votre droit à indemnisation et en fixera le montant.

Cette action en indemnisation est une action civile. Elle a pour seul but d’indemniser la victime sans chercher à taper sur les doigts du responsable, si ce n’est en le tapant au portefeuille.

Mme VIAL : par exemple ?

Me BUFFLER : un exemple concret : vous faites refaire les fenêtres de votre maison. L’entreprise mandatée réalise un travail de cochon. Eh bien si elle refuse de vous indemniser, vous saisirez les tribunaux civils (tribunal d’instance ou de grande instance) qui la condamneront à vous régler les frais de remise en état.

Pénalement, il n’y a rien à reprocher à cette entreprise.

Par contre, ce qui arrive souvent est qu’un litige relève à la fois du pénal et du civil, c’est-à-dire que le fait répréhensible à l’origine de votre préjudice est sanctionné par le Code Pénal.

Mme VIAL : par exemple ?

Me BUFFLER : par exemple, vous êtes renversé par une voiture. Vous vous retrouvez paraplégique. Le conducteur était ivre. Dans ce cas, non seulement vous avez le droit d’être indemnisé au titre de votre préjudice mais en plus le conducteur sera poursuivi au pénal pour conduite en état d’ivresse avec la forte probabilité d’être condamné à une peine de prison.

Le souci est que les actions civiles relèvent des tribunaux civils et les actions pénales des juridictions répressives, ce qui signifie que pour un même dossier, selon l’aspect abordé, civil ou pénal, ce seront des tribunaux différents qui seront saisis, ce qui apparait un peu aberrant, d’autant que chaque tribunal peut aboutir à des conclusions différentes (coupable pour l’un, non responsable pour l’autre, ou inversement).

Pour éviter ce problème, on permet à la victime d’intervenir au procès pénal en tant que partie civile, c’est-à-dire qu’elle indiquera au juge pénal qu’elle souhaite que l’entier dossier soit traité par son tribunal, le juge pénal étant ainsi tenu de statuer à la fois sur la culpabilité (et la peine) de la personne poursuivie ainsi que sur l’indemnisation de la victime.

Mme VIAL : et donc dans le cas des emplois fictifs de la ville de Paris ?

Me BUFFLER : dans ce cas, les emplois fictifs ont apparemment coûté à la Ville de Paris près de 2.2 millions d’euros. Comme M. CHIRAC est poursuivi devant le tribunal correctionnel, la Ville de Paris est en droit d’en demander le remboursement devant ce tribunal, au plus tard le jour du procès.

Ce n’est toutefois nullement une obligation, surtout si au final elle a été réglée de la totalité de son préjudice avant le procès.

Mme VIAL : les tractations qui semblent avoir actuellement lieu apparaissent cependant comme un marché : tu retires ta constitution de partie civile et en contrepartie je te paie sans regimber les 2.2 millions d’euros que tu demandes. Quel est l’intérêt de ce retrait pour J. CHIRAC ?

Me BUFFLER : il faut comprendre qu’un procès pénal, quand une partie civile est constituée, est un procès à 3 : l’accusation, la victime et la défense. Généralement la victime et l’accusation se soutiennent mutuellement pour obtenir la condamnation de la défense qui se trouve ainsi devoir affronter 2 adversaires.

Si la Ville de Paris retire sa constitution de partie civile, M.CHIRAC n’a plus qu’un seul adversaire, l’accusation. Et quand on sait que l’accusation entend apparemment requérir la mise hors de cause de notre ancien Président de La République, on voit tout l’intérêt de M. CHIRAC à conclure un accord avec la Ville de Paris avant le procès.

Mme VIAL : si l’accord envisagé est parfaitement légal, pourquoi choque-t-il autant ?

Me BUFFLER : eh bien, il faut savoir que quand bien même la victime est indemnisée par la défense, celle-ci peut parfaitement maintenir sa constitution de partie civile lors du procès, quitte à demander au tribunal un euro symbolique de dommages et intérêts.

Dans une telle hypothèse, l’intérêt d’une constitution de partie civile n’est bien sûr pas tant d’obtenir une indemnisation puisqu’elle a déjà été obtenue, mais de soutenir l’accusation en insistant sur le nécessité d’une condamnation pénale de la personne poursuivie.

Ce qui est choquant dans le cas de la Ville de Paris c’est qu’elle est dirigée par le PS qui semble disposé à ne pas utiliser cette formidable tribune qu’est le procès des emplois fictifs pour dénoncer le système illégal mis en place par le RPR dans les années 80.

Pourquoi cette fleur ? Cela paraît difficilement compréhensible et donne l’impression que par-delà les clivages politiques il convient surtout de ne pas jeter une lumière trop crue sur des pratiques qui de toute évidence ne se sont pas limitées au RPR.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

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