L’expertise judiciaire

L’expertise judiciaire

Chronique novembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 octobre dernier nous apprenions qu’en 2004 un texan avait probablement été exécuté à tort pour le meurtre de ses filles, les experts s’étant totalement fourvoyés en concluant que l’incendie à l’origine de la mort de ses filles était volontaire.

Au vu de ce fait divers absolument dramatique, que doit-on penser des expertises judiciaires ?

Me BUFFLER : le pire. Il y a une boutade d’avocats à ce sujet : « réunissez 2 experts et vous aurez 3 avis différents ». Cette boutade n’est malheureusement pas très loin de la réalité

Mme VIAL : c’est-à-dire ?

Me BUFFLER : 2 exemples.

Le 1er : je défendais il y a quelques années un agent immobilier qui était accusé par un acquéreur d’avoir voulu le tromper sur le métrage de la maison en indiquant 120 m² sans autre précision. Or, cette surface correspondait à la surface au sol et non à la surface habitable de la maison, laquelle n’était que de 100 m². L’acquéreur réclamait dès lors une baisse de prix de 20% au titre des m² perdus.

La question qui se posait était de savoir si en l’absence de précision, les m² indiqués par un agent correspondent à la surface au sol ou à la surface habitable du bien en vente.

Un expert a été nommé pour répondre à cette question. L’expert a rendu son pré-rapport en affirmant qu’il n’y avait aucun usage en la matière et que dès lors l’agent était libre d’annoncer les m² qui lui convenait.

Malheureusement l’expert est décédé avant de déposer son rapport définitif, si bien qu’il a fallu mandater un 2e expert. Eh bien que croyez-vous qu’il est advenu ? Le second expert a pris exactement le contre-pied du 1er expert et a affirmé qu’en l’absence de précision, l’usage veut que ce soit la surface habitable qui soit indiquée.

Au final l’acquéreur a perdu son procès mais cela démontre à l’évidence que les experts détiennent rarement la vérité absolue et qu’il faut se méfier comme de la peste de leurs conclusions.

Mme VIAL : vous parliez d’un 2e exemple.

Me BUFFLER : oui. Dans le même registre, une expertise judiciaire a été ordonnée afin de chiffrer le cout de réparation d’une fuite dans l’appartement d’une copropriété.

Le 1er expert a conclu qu’il fallait refaire toute la toiture de la copropriété ; coût : près de 100 000 euros.

Une 2e expertise a eu lieu 6 mois plus tard avec un 2e expert. Celui-ci a cette fois estimé qu’une simple reprise de la cheminée devait suffire à régler le problème de fuite. Coût : 17 000 euros, soit une différence du simple au quintuple !

Qui a raison, qui a tort ? Bien malin qui peut y répondre. En tout état de cause, vous vous rendez compte qu’une expertise doit toujours être prise avec des pincettes, ce que les juges ont tendance à oublier. Il n’y a qu’à voir le procès d’Outreau où nombre d’experts psychologues n’ont pas hésité à conclure à la véracité de certains témoignages en vérité parfaitement imaginaires.

L’expertise est trop souvent une béquille sur laquelle se repose certains juges en manquent d’autres éléments probants.

Mme VIAL : l’expertise reste toutefois bien souvent un passage obligé. Qui paie et combien cela coûte-il ?

Me BUFFLER : pour ce qui est du coût, la rémunération de l’expert, même pour l’expertise la plus basique, est rarement inférieure à 800 euros. Toutefois, le plus souvent cela tourne aux environs de 1500 / 2500 euros et dans des matières complexes, ou lorsque les points à étudier sont nombreux, cela peut coûter bien plus.

Pour ce qui est de la prise en charge des frais d’expertise, par principe c’est celui qui la demande qui fait l’avance des frais. « Faire l’avance » signifie que si au final le plaignant obtient gain de cause, son adversaire devra lui rembourser les frais d’expertise en sus de toutes les autres sommes auxquelles il est condamné. Par contre si l’expert estime que le demandeur a tort, ce dernier en sera quitte pour avoir demandé et réglé une expertise pour rien.

Certaines assurances protection juridique prennent toutefois en charge les frais d’expertise.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

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