Juger le Président de la République

Juger le Président de la République

Chronique janvier 2012

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 décembre dernier J. CHIRAC, ancien Président de la République, a été condamné a deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris au titre d’emplois de complaisance à la ville de Paris au début des années 1990. Pourquoi tant de temps, presque 20 ans entre les infractions et la condamnation ?

Me BUFFLER : ce retard à l’atterrissage (et à l’allumage au demeurant) est dû au statut de J. CHIRAC, Président de la République en exercice au moment des poursuites.

Le statut pénal du Président de la République en exercice est fixé aux articles 67 et 68 de la Constitution française. Dans leur version initiale, ces articles pouvaient prêter à confusion. Ainsi en 1999 le Conseil Constitutionnel en a donné une interprétation qui a été assez largement contredite par la Cour de Cassation 2 ans plus tard.

Au final en 2007 le Parlement a adoptée une nouvelle version des articles 67 et 68. Il est maintenant clairement indiqué que, durant son mandat, le Président de la République ne peut être requis de témoigner, ni faire l’objet de la moindre action. Il faut attendre la fin de ses fonctions pour lui intenter un procès, le convoquer et a fortiori le condamner.

Ainsi, tant que J. CHIRAC était en fonction, tout procès, toute instruction, était bloqué dans l’attente de la fin de son mandat.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut donc être poursuivi, encore moins jugé, tant qu’il est en fonction ?

Me BUFFLER : tout à fait, sauf en cas de « manquement à ses devoirs incompatible avec l’exercice de son mandat ». En pareille hypothèse, une procédure de destitution assez proche dans l’esprit de la procédure d’impeachment américaine peut être lancée. Ainsi, à l’initiative de l’Assemblée Nationale ou du Sénat, et si une majorité des 2/3 de chaque assemblée la vote, une destitution du Président de la République est possible.

Afin de ne pas perturber le fonctionnement régulier des institutions publiques ainsi que la continuité de l’État, il est bien évident que cette procédure ne doit être appliquée que dans des cas gravissimes.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut être poursuivi, ni jugé, quand il est en fonction. Mais peut-il intenter un procès ?

Me BUFFLER : eh bien, c’est toute la question. D’un côté, pendant son mandat, le Président de la République est inattaquable, mais de l’autre il peut intenter un procès à qui bon lui semble sans risquer le moindre retour de bâton si son action devait être jugée abusive ou mal-fondée. Il y a de toute évidence un déséquilibre difficilement acceptable.

La Cour de Cassation sera prochainement amenée à faire connaître sa position sur ce point dans le cadre de l’affaire des comptes piratés (en 2008 N. SARKOZY avait vu son compte bancaire privé piraté et débité par des escrocs).

Pour l’heure la constitution de partie civile de N. SARKOZY a été jugée recevable, étant précisé que le tribunal de première instance avait jugée qu’il fallait attendre la fin de son mandat pour statuer sur sa demande de dommages et intérêts, ce qui paraît une position judicieuse. On ne peut pas en effet renvoyer en fin de mandat les affaires pour lesquelles on est défendeur pour bénéficier par ailleurs de la célérité normale de la justice quand on est en demande.

Mme VIAL : enfin, sauf erreur, tout ancien Président de la République est membre de droit du Conseil Constitutionnel. Du fait de sa condamnation pénale, J. CHIRAC ne perd-il pas son droit de siéger au Conseil Constitutionnel ?

Me BUFFLER : non, pas du tout, et c’est bien tout le problème : hors empêchement physique ou incompatibilité, la Constitution française ne prévoit pas de cas de révocation des membres du Conseil Constitutionnel, encore moins pour les anciens Président de la République qui en sont membres à vie.

Dans l’absolu, en l’état des textes actuels, même condamné et détenu, rien n’empêcherait un ancien Président de la République de continuera à siéger au Conseil Constitutionnel.

Cela est bien évidemment difficilement acceptable, d’autant que le rôle du Conseil Constitutionnel s’est grandement développé depuis l’adoption de la QPC en 2010.

Il convient manifestement de revoir la législation sur ce point.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage.

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