Archive dans 2011

Le boucher n’est pas un curé

Par une décision du 13 décembre 2010, le Tribunal des Conflits a jugé que le licenciement d’un salarié employé comme boucher au sein d’un hôtel-restaurant appartenant à la Mense épiscopale de Strasbourg (établissement public du culte catholique chargé de gérer les biens du diocèse de Strasbourg) relevait du conseil des prud’hommes et non du tribunal administratif.

Cela tombait sous le sens, un boucher (sauf erreur) ne participant nullement du service public administratif des cultes ; encore fallait-il le dire au Conseil des Prud’hommes de Strasbourg.

Mediator : et la responsabilité des médecins prescripteurs ?

Depuis 1997 la revue PRESCRIRE alerte les médecins quant aux dangers du MEDIATOR. Pour autant les presciptions de ce médicament ne semblent pas avoir fléchi en France jusqu’à son retrait du marché en 2009.

Comment pendant plus de 10 ans les médecins ont-ils pu continuer à prescrire ce médicament sans le moindre fléchissement apparent ?

Faut-il rappeler aux médecins que ceux-ci ont l’obligation conformément au code de la santé publique et à leur code de déontologie de se tenir informés de l’actualité médicale, « d’entretenir et de perfectionner leurs connaissances, ainsi que de prendre toutes les dispositions nécessaires pour participer à des actions de formation » ? qu’ils doivent informer leurs patients des effets secondaires des médicaments prescrits, surtout quand ils le sont pour un usage autre que celui de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) ? qu’ils doivent « s’interdire, dans les thérapeutiques qu’ils prescrivent, de faire courir au patient un risque injustifié » ainsi que veiller à « limiter leurs prescriptions à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins » ?

Dans le cadre du MEDIATOR, les patients peuvent sérieusement s’interroger quant au respect par leur praticien de ces obligations légales, éthiques et déontologiques.

Surtout, si le MEDIATOR avait une AMM comme adjuvant au régime antidiabétique, son usage a largement été détourné pour être utilisé hors AMM comme coupe-faim. Or préscrire un médicament hors AMM n’est pas anodin puisque cela doit être clairement indiqué sur l’ordonnance du médecin. En outre, tout remboursement par la Sécurité Sociale se trouve exclu. De fait, dans ce type de prescription, la responsabilité du médecin se trouve renforcée par rapport aux ordonnances classiques.

Le laboratoire SERVIER a probablement des torts et devra de toute évidence s’expliquer devant les tribunaux. Mais il ne faudrait pas oublier les médecins. Certains ont manifestement prescrit ce médicament avec une légèreté coupable. La question de leur responsablité professionnelle se trouve sérieusement posée.

Et le MEDIATOR n’est que l’arbre qui cache la forêt …

Le code de commerce local

En matière de clause de non-concurrence, subsistent également en Alsace-Moselle d’anciens articles du code de commerce allemand, dit « code de commerce local », maintenus en vigueur selon la loi française du 1er juin 1924.

L’article 74 du code de commerce local stipule notamment :

« Toute convention conclue entre un patron et un commis qui apporte des restrictions à l’activité professionnelle de celle-ci (défense de concurrence), pour le temps postérieur à la cessation du louage de services, doit être constatée par écrit et un acte en contenant les clauses et signé du patron doit être délivré au commis.

La convention prohibitive de la concurrence n’est obligatoire qu’autant que le patron s’oblige à payer pour la durée de la prohibition, une indemnité annuelle de la moitié au moins des rémunérations dues en dernier lieu au commis en vertu du contrat de louage de services. »

L’article 74a poursuit :

« La convention prohibitive de la concurrence n’est pas obligatoire si elle ne sert pas à la protection d’un intérêt légitime du patron. Elle n’est pas non plus obligatoire si, en considérant l’indemnité stipulée, elle cause à raison du lieu, du temps et de l’objet auquel elle s’applique, un tort injuste à l’avenir commercial du commis.

La convention prohibitive ne peut s’étendre à une durée supérieure à deux ans à partir de la cessation du louage de services. »

Ces 2 articles signifient que :

– pour tout salarié commis exerçant son activité principale en Alsace-Moselle, l’indemnité de non-concurrence due ne peut jamais être inférieure à 50 % du salaire brut ;

– en tout état de cause, une clause de non concurrence ne peut jamais excéder 2 ans.

Surtout, la combinaison de ces 2 articles signifient qu’en cas de clause de non-concurrence non limitée dans le temps, c’est le maximum qui est dû au salarié commis, à savoir 50 % du salaire brut sur 2 ans !

Le code civil local en matière de baux

De 1870 à 1918 l’Alsace-Moselle a été une province de l’Empire allemand. En 48 ans de régime allemand le droit allemand s’est progressivement substitué au droit français. A compter de 1918 le mouvement inverse s’est opéré sans toutefois que le droit français ne vienne intégralement se substituer au droit allemand.

Ainsi, en matière de baux, subsistent en Alsace-Moselle les articles 565 et 570 du code civil allemand, dit « code civil local », maintenus en vigueur selon la loi française du 1er juin 1924 (article 7, 11°) :

Article 565 :

En ce qui concerne les immeubles, le congé ne peut être donné que pour la fin d’un trimestre du calendrier ; il doit l’être au plus tard le troisième jour ouvrable du trimestre. Si le loyer est stipulé fixé par mois, le congé ne peut être donné que pour la fin d’un mois du calendrier et doit avoir lieu, au plus tard, le 15 du mois. Si le loyer est payable par semaine, le congé ne peut être donné que pour la fin d’une semaine du calendrier et doit avoir lieu, au plus tard, le premier jour ouvrable de la semaine.

Pour les choses mobilières, le congé doit être donné au plus tard le troisième jour avant celui où le bail doit finir.

Si le loyer pour un immeuble ou une chose mobilière est fixé par jour, le congé peut être donné chaque jour pour le jour suivant.

Les dispositions de l’alinéa 1, 1re phrase et de l’alinéa 2 sont applicables aussi au cas où le bail peut être dénoncé avant son expiration en observant le délai légal.

Article 570 :

Les militaires, les fonctionnaires, les ecclésiastiques et les professeurs des établissements d’instruction publique peuvent, en cas de déplacement dans une autre localité, dénoncer, en observant le délai légal, le bail, quant aux locaux qu’ils avaient loués au lieu de leur résidence ou de leur garnison, pour eux ou leurs familles. Cette dénonciation n’a effet que pour le premier terme pour lequel elle est admissible.

L’article 616 du Code Civil Local

L’article 616 du Code Civil Local (devenu depuis la recodification du code du travail du 1er mai 2008 l’article L 1226-23) énonce :

« Le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour une cause personnelle indépendante de sa volonté et pour une durée relativement sans importance a droit au maintien de son salaire.

Toutefois, pendant la suspension du contrat, les indemnités versées par un régime d’assurances sociales obligatoire sont déduites du montant de la rémunération due par l’employeur. »

Il est généralement soutenu que cette « durée relativement sans importance » correspondrait à 3 jours par analogie au délai de carence en matière d’arrêt maladie propre au reste de la France.

Rien n’est plus faux : comme l’a indiqué la Cour de Cassation (notamment soc. 19.1.1992 et 25.11.1992), en l’absence de toute précision dans le texte, la notion de « durée relativement sans importance » doit être appréciée au cas par cas, arrêt maladie par arrêt maladie.

Ainsi, selon les cas, cette durée relativement sans importance peut être d’un jour ou d’une semaine, voire plus.

En tout état de cause, beaucoup d’employeurs d’Alsace-Moselle oublient (à dessein ?) l’exitence de ce texte de droit local et appliquent en toute illégalité les règles propres au reste de la France. Aux salariés d’être vigilants et de rappeler leurs emloyeurs au respect du droit local.

Le sexe par surprise

Chronique janvier 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, en décembre dernier nous apprenions que Julian ASSANGE, le fondateur de Wikileaks, était accusé en Suède de « sexe par surprise ». Son avocat anglais s’est gaussé d’un tel chef de poursuite. Que faut-il en penser ?

Me BUFFLER : l’infraction retenue contre Julian ASSANGE paraît en effet bien étrange, voire relever du gag, laissant planer le doute quant au sérieux de l’infraction qui lui est reprochée et des buts recherchés.

Et pourtant, cette qualification de « sexe par surprise » existe bel et bien, notamment dans notre code pénal français. Il suffira de lire l’article du code pénal incriminant le viol pour en être convaincu : est constitutif d’un viol « tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Mme VIAL : comment se définit dès lors la « surprise » ?

Me BUFFLER : pour pouvoir saisir cette notion de « surprise », il faut se référer à la jurisprudence, c’est-à-dire aux différentes décisions de justice qui par le passé ont été amenées à retenir cette qualification.

Le code pénal ne fourmille pas d’exemples. Le plus fameux date de 1857. A cette époque un individu s’était introduit dans la chambre et le lit d’une femme encore endormie dont le mari était absent, et avait profité de l’erreur de cette dernière pour avoir une relation intime avec elle. Pour les auditeurs je tiens à préciser que la femme s’était rapidement rendue compte que ce n’était pas son mari et avait mis en fuite son violeur.

A travers cet exemple on se rend bien compte qu’en l’absence de violences physiques ou morales, ou de toute pression, une condamnation pour viol aurait été totalement illusoire si la qualification de « viol par surprise » n’existait pas.

De même, pour le cas d’un médecin qui en consultation procéderait à des actes médicaux invasifs et les détournerait à des fins purement sexuelles, le viol par surprise pourrait être retenu en l’absence de toute contrainte physique ou morale.

Mme VIAL : dès lors la surprise se définirait comme le fait d’obtenir frauduleusement le consentement de la victime ?

Me BUFFLER : oui mais pas n’importe quelle fraude. Il faut que les manoeuvres et autres dissimulations dont use le violeur visent à tromper la victime quant à sa personne ou l’acte lui-même. Car en matière de séduction on peut reprendre l’adage propre au mariage : « trompe qui peut ».

Ainsi, si votre partenaire vous a trompé en ce qui concerne l’épaisseur de son portefeuille, de ses diplômes, de ses qualités humaines ou convictions religieuses dans le seul but d’avoir une relation sexuelle, vous n’avez aucun espoir, fort heureusement, d’obtenir sa condamnation pour viol. Vous obtiendrez éventuellement l’annulation du mariage (à supposer que vous soyez marié) si vous parvenez à démontrer qu’il y a eu tromperie sur une qualité essentielle mais il ne s’agit plus de droit pénal.

Mme VIAL : et dans le cas de J. ASSANGE ?

Me BUFFLER : les faits qui lui sont reprochés sont assez fumeux si l’on en croit les médias internationaux. Toutefois, en l’absence d’éclaircissements il me paraît difficile d’émettre le moindre avis.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage surl’actualité juridique.

La réforme du surendettement

Chronique janvier 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 11 janvier 2011 un sexagénaire surendetté a tué sa mère, sa femme et sa fille avant de se suicider. Le tueur a expliqué son geste par des dettes issues de prêts à la consommation pour un montant de «plusieurs milliers d’euros». Pourtant, fin juillet, une loi réformant le surendettement a été adoptée. Cette loi n’a t-elle rien changé en la matière ?

Me BUFFLER : les nouveauté de cette loi sont multiples et applicables depuis novembre dernier. Les modifications les plus notoires sont :

Premièrement, la suspension automatique des mesures d’exécution à la recevabilité du dossier de surendettement par la Banque de France.

Cela signifie qu’à partir du moment où la Banque de France, où vous devez déposer votre dossier de surendettement, vous notifie la recevabilité de votre dossier (càd que toutes les pièces justificatives ont été produites, votre bonne foi n’a pas été remise en cause et le montant de vos dettes est effectivement inquiétant), plus aucun créancier ne peut chercher à saisir vos comptes bancaires, votre voiture ou votre maison. Votre patrimoine est gelé jusqu’à l’adoption définitive du plan de rétablissement ou de remboursement.

Auparavant, il fallait saisir le juge pour solliciter une telle suspension des poursuites.

Deuxièmement la durée d’inscription au Fichier national des Incidents de Crédits passe de 8 à 5 ans suite à une procédure de rétablissement personnel et de 10 à 5 ans dans le cas d’un plan de remboursement.

Enfin, l’accès à la procédure de surendettement n’est plus fermée aux propriétaires surendettés. En effet, auparavant, si une personne surendettée était propriétaire, elle devait d’abord vendre sa maison pour payer ses créanciers, et c’était seulement si le prix de vente de la maison ne permettait pas de solder la totalité des dettes que la personne surendettée pouvait saisir la Banque de France au titre du reliquat de ses dettes.

Pour autant, les nouveautés en matière de crédits à la consommation et de crédits revolving qui sont généralement à l’origine de beaucoup de situation de surendettement,sont maigres.

Mme VIAL : c’est-à-dire ?

Me BUFFLER : la loi prévoit :

– un encadrement de la publicité avec interdiction des mentions qui suggèrent qu’un crédit améliore la situation financière ou le budget de l’emprunteur, ; l’obligation de faire figurer le taux d’intérêt du crédit dans une taille de caractère plus importante que celle utilisée pour le taux d’intérêt promotionnel ;

– que chaque échéance de crédit renouvelable comprend obligatoirement un amortissement minimum du capital restant dû, ce qui évitera que certains emprunteurs ne paient chaque mois que des intérêts sans que jamais le capital emprunté ne baisse ;

– l’obligation pour les prêteurs de consulter le fichier FICP avant d’accorder un crédit ;

Bref, c’est mieux que rien mais cela ne va pas révolutionner les pratiques des organismes de crédits. L’ensemble des mesures proposées, qui doivent entrer en vigueur en avril/mai 2011, tiennent plus d’une charte de bonne conduite que d’un véritable contrôle.

Mme VIAL : que suggérerez-vous dès lors ?

Me BUFFLER : la mise en place d’un registre national des crédits aux particuliers qui recenserait l’ensemble des crédits souscrits par une personne. Cela éviterait que des personnes n’empruntent plus qu’elle ne peuvent rembourser. Car, actuellement, le contrôle de solvabilité exercé par les organismes de crédit pour des crédits à la consommation est très limité, voire nul.

Cette absence de contrôle s’explique aisément : avec des taux d’intérêt de 15% à 20% ces crédits sont hautement rentables pour les banques. Et si un emprunteur fait parfois défaillance, les intérêts que paient les autres couvrent largement les pertes.

Dans ma pratique professionnelle, mon record a été 17 crédits à la consommation pour un ménage. A peu près tous les organismes de crédit étaient représentés pour une somme globale de 70 000 euros.

Seul un registre positif des crédits souscrits éviterait que certains ménages usent, voire abusent, avec le consentement des organismes de crédit des crédits à la consommation.

Un tel registre existe déjà dans plusieurs pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique. La France s’y est toujours refusée sous le poids du lobby des banques. Il est grand temps que cela change.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.