Archive dans 2012

Les nouvelles taxes de 150 euros et 35 euros transmises au Conseil Constitutionnel pour avis

Le décret n° 2011-1202 du 28 septembre 2011 relatif au droit affecté au fonds d’indemnisation de la profession d’avoué près les cours d’appel et à la contribution pour l’aide juridique a institué 2 nouvelles taxes :

– un droit de 150 euros dû par les parties à l’instance d’appel lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel,

– une contribution pour l’aide juridique de 35 euros par instance introduite devant les juridictions judiciaires ou administratives,

les 2 se cumulant en appel (sauf exception), soit un surcoût 185 euros pour le justiciable en appel.

Ce décret a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité que le Conseil d’Etat a accepté par décision du 3 février (ci-dessous) de transmettre au Conseil Constitutionnel. Ces nouvelles taxes sont en effet « susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d’exercer un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. »

Commenter et motiver une décision de justice

Chronique janvier 2012

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 décembre dernier J. CHIRAC, ancien Président de la République, a été condamné a deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris. Beaucoup d’hommes politiques ont refusé de donner leur sentiment au sujet de cette condamnation au motif qu’il serait d’usage de ne pas commenter les décisions de justice. Est-il vrai qu’il est interdit de commenter les décisions de justice en France ?

Me BUFFLER : pas du tout ! Il est parfaitement autorisé de commenter les décisions de justice en France. Aucun texte ne l’interdit. Cela est même nécessaire. La justice est rendues par les hommes et l’homme est faillible.

Les revues juridiques à destination des professionnels du droit ne font d’ailleurs que çà à longueur de pages : analyser, commenter, et si besoin critiquer, les décisions rendues par les juridictions françaises et européennes, et notamment celles de nos plus éminentes juridictions, Cour de Cassation et Conseil d’Etat.

Mme VIAL : mais alors d’où vient cette ritournelle relative à la prétendue impossibilité de commenter les décisions de justice ?

Me BUFFLER : d’une confusion. On peut parfaitement commenter une décision de justice ; par contre il ne faut pas, logiquement, tomber dans l’outrance.

L’infraction que sanctionne le Code pénal (article 434-25) sont les commentaires dont le but est de jeter publiquement le discrédit sur la décision rendue de manière à porter atteinte à l’autorité ou à l’indépendance de la justice. Ce texte est très restrictif et ne muselle en rien nos hommes politiques.

Les tribunaux ne s’y sont pas trompés puisque les cas de condamnation sont rares, et les tribunaux ne sanctionnent des comportements outranciers qu’après avoir rappelé qu’aucune décision de justice ne saurait échapper à une critique normale.

Un exemple de condamnation : un avocat avait accusé un jury de cour d’assises de s’être abandonné à des considérations d’ordre raciste dans son verdict.

Mme VIAL : en matière de décision de justice, il semblerait qu’à compter de 2012 les cours d’assises doivent dorénavant motiver leurs décisions. Qu’est ce que cela signifie ?

Me BUFFLER : eh bien, jusqu’à aujourd’hui, à la question « l’accusé est-il coupable des faits, graves, qui lui sont reprochés ? », le jury d’assises répondait simplement par oui ou par non. Pas un mot de plus. Ainsi, une personne se retrouvait condamnée à 10 ou 20 ans d’emprisonnement, voire à perpétuité, sans connaître les principales raisons qui ont convaincu la cour d’assises de sa culpabilité. Cela était pour le moins choquant. Tout justiciable a le droit de savoir comment ceux qui l’ont jugé ont pris leur décision.

Cette absence d’explications tenait au fait que les jurés d’assises se prononcent en fonction de leur « intime conviction », c’est-à-dire que la loi ne leur demande pas compte des moyens par lesquels ils se sont convaincus de la culpabilité de l’accusé, elle n’impose pas de règles ; elle leur prescrit uniquement de chercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont fait sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense.

Mme VIAL : les jurés n’avaient donc pas de comptes à rendre, ils pouvaient juger comme ils le voulaient sans devoir se justifier.

Me BUFFLER : exactement, et l’on perçoit tout de suite le risque : uns condamnation à « l’humeur », au « feeling », même si les preuves sont insuffisantes.

Obliger les jurés d’assises à motiver leur décision au moins un minimum va les contraindre à clarifier leurs idées, à faire le tri dans les arguments des parties et à bâtir au moins dans ses grandes lignes un raisonnement logique expliquant la décision finale.

C’est tout de même le moins que l’on pouvait exiger d’une juridiction qui prononce les peines pénales les plus lourdes.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage.

Le Diagnostic de Performance Energétique (DPE)

Le DPE évalue la quantité d’énergie consommée par un logement et lui attribue un classement (de A à G) en fonction de la quantité d’énergie et de gaz à effets de serre nécessaires à son chauffage.

Le DPE est réalisé par un diagnostiqueur, en tenant compte:

– soit des caractéristiques du logement (matériaux utilisés, caractéristiques thermiques, moyen de chauffage, production d’eau chaude, …),

– soit, s’il s’agit d’un bien immobilier très ancien, de locaux professionnels ou d’une copropriété avec chauffage collectif, des factures de consommation.

En imposant aux bailleurs et vendeurs d’un bien immobilier la remise d’un DPE à leurs locataires et acquéreurs, le législateur a poursuivi 3 objectifs :

– informer l’acquéreur et le futur locataire quant à la consommation énergétique du bien visé et leur permettre une comparaison aisée entre les différents logements sur le marché ;

– sensibiliser les occupants quant aux économies d’énergie ;

– favoriser la réalisation de travaux de rénovation énergétique.

La loi du 12 juillet 2010, dite « Grenelle de l’environnement » 2, a rendu obligatoire l’indication du classement de performance énergétique dans les annonces publiées dans la presse, sur internet ou dans les vitrines des agences immobilières.

En outre, ce DPE doit être obligatoirement remis au locataire à la signature du bail et à l’acquéreur à la signature du compromis de vente.

Question : quelles sont les conséquences pour le bailleur ou le vendeur si la consommation énergétique du bien vendu ou loué s’avère plus élevée que celle indiquée dans le DPE ?

L’article L 271-4 du Code de la Construction de de l’Habitation (CCH) est clair : « L’acquéreur ne peut se prévaloir à l’encontre du propriétaire des informations contenues dans le diagnostic de performance énergétique qui n’a qu’une valeur informative ». Ainsi, l’acquéreur (et le locataire selon l’article L 134-3-1 du CCH) ne peut se retourner contre son vendeur (ou bailleur).

Par contre la responsabilité du diagnostiqueur peut être recherchée par l’acquéreur (ou le locataire). Ainsi, dans un jugement du 7 avril 2011, le TGI de Paris a condamné le diagnostiqueur à verser 40 000 euros de dommages et intérêts à l’acquéreur au titre d’un bien classé C alors qu’il aurait dû être classé G.

Prudence donc pour les diagnostiqueurs.

Le problème est que souvent les propriétaires, pour pouvoir louer ou vendre leur bien plus facilement, ont tendance à mettre la pression sur leur diagnostiqueur afin d’obtenir une « bonne note » au titre du DPE. Aux diagnostiqueurs de résister.

En tout état de cause, les assurances responsabilité civile professionnelle ont entendu rappeler aux diagnostiqueurs que celles-ci ne garantissent jamais les fautes intentionnelles, ce qui signifie qu’en cas de DPE volontairement complaisant, l’assurance ne couvrira pas le sinsitre, et ce alors même que les sommes en jeu peuvent être importantes.

Les jurés populaires en correctionnelle

Chronique décembre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, la loi sur les jurés populaires en correctionnelle a été définitivement votée en juillet dernier. Elle entre en vigueur au 1er janvier 2012. Quelle est la nouveauté de ce texte en matière pénale ?

Me BUFFLER : tout d’abord, je tiens à préciser que c’est une nouveauté totalement aberrante  :

En premier lieu, il convient de rappeler qu’en France la présence d’un jury populaire a été peu à peu éradiquée de nos tribunaux depuis le Moyen-Age pour complètement disparaître aujourd’hui, sauf aux assises.

Cela tient au fait que depuis des siècles la droite s’est toujours échinée à réduire la place des jurés populaires dans les instances de jugement, les estimant pas assez sévères. Et voilà-t-il pas qu’aujourd’hui cette même droite veut subitement les réintroduire, en estimant cette fois-ci que ce seraient les juges qui seraient trop laxistes. On marche manifestement sur la tête.

En 2e lieu, si notre Président de la République a fait valider la présence de 2 jurés citoyens dans tout procès correctionnel, de l’autre côté son gouvernement a approuvé l’idée de supprimer tout jury populaire dans les Cours d’assises en première instance.

Ainsi, d’un côté on annonce à grand bruit que la présence de jurés serait souhaitable pour juger de simples délits, pour de l’autre s’en dispenser quand il s’agit de juger les crimes les plus graves.

Tout cela n’a ni queue, ni tête. Le gouvernement s’en est finalement rendu compte et a finalement décidé de maintenir les jurés en cour d’assises. Il en a toutefois réduit le nombre d’un tiers par souci d’économie.

Enfin, en 3e lieu, je m’interroge quant aux moyens de financer une telle réforme alors que les caisses du Ministère de la Justice sont déjà plus que vides.

Mme VIAL : en pratique, comment vont intervenir ces nouveaux jurés ?

Me BUFFLER : à compter de 2012, pour les atteintes aux personnes les plus graves (violences aggravées, agressions sexuelles, vols avec violences) 2 citoyens tirés aux sorts siégeront au côtés des 3 traditionnels magistrats du tribunal correctionnel, pour une semaine environ.

Quand on sait comment se passent les délibérés aux assises – pour lesquels tous les jurés que j’ai pu interroger m’ont tous confirmé que les débats étaient menés par les 3 magistrats professionnels, les 9 jurés citoyens intervenant peu – il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour deviner que les 2 jurés citoyens, sans aucune expérience juridique, seront de bien peu de poids face aux 3 juges professionnels.

En outre, si aux assises, domaine auparavant réservé aux jurés populaires, la procédure est orale, en correctionnel, il n’en est rien. Dès lors, quand et comment les jurés populaires vont-il pouvoir prendre connaissance des dossiers correctionnels, certains pouvant faire des centaines, voire des milliers de pages ? Ces jurés populaires ont toutes les chances de faire tapisserie.

Bref, tout çà pour çà.

Mme VIAL : cette présence des jurés populaires se limite-elle au seul tribunal correctionnel ?

Me BUFFLER : non, effectivement. Suite à l’assassinat de la jeune Laetitia à Pornic, le gouvernement a également entendu étendre la participation des jurés citoyens aux décision de libérations conditionnelles pour les peines égales ou supérieures à 5 ans.

Une fois de plus on imagine que les jurés citoyens seront plus stricts que les juges professionnels, ce qui n’est nullement acquis et pas forcément souhaitable puisqu’une sortie de prison préparée et anticipée, quoi qu’en pense la vox populi, est toujours moins source de récidive qu’une remise en liberté contrainte en fin de peine.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Juger le Président de la République

Chronique janvier 2012

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 décembre dernier J. CHIRAC, ancien Président de la République, a été condamné a deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris au titre d’emplois de complaisance à la ville de Paris au début des années 1990. Pourquoi tant de temps, presque 20 ans entre les infractions et la condamnation ?

Me BUFFLER : ce retard à l’atterrissage (et à l’allumage au demeurant) est dû au statut de J. CHIRAC, Président de la République en exercice au moment des poursuites.

Le statut pénal du Président de la République en exercice est fixé aux articles 67 et 68 de la Constitution française. Dans leur version initiale, ces articles pouvaient prêter à confusion. Ainsi en 1999 le Conseil Constitutionnel en a donné une interprétation qui a été assez largement contredite par la Cour de Cassation 2 ans plus tard.

Au final en 2007 le Parlement a adoptée une nouvelle version des articles 67 et 68. Il est maintenant clairement indiqué que, durant son mandat, le Président de la République ne peut être requis de témoigner, ni faire l’objet de la moindre action. Il faut attendre la fin de ses fonctions pour lui intenter un procès, le convoquer et a fortiori le condamner.

Ainsi, tant que J. CHIRAC était en fonction, tout procès, toute instruction, était bloqué dans l’attente de la fin de son mandat.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut donc être poursuivi, encore moins jugé, tant qu’il est en fonction ?

Me BUFFLER : tout à fait, sauf en cas de « manquement à ses devoirs incompatible avec l’exercice de son mandat ». En pareille hypothèse, une procédure de destitution assez proche dans l’esprit de la procédure d’impeachment américaine peut être lancée. Ainsi, à l’initiative de l’Assemblée Nationale ou du Sénat, et si une majorité des 2/3 de chaque assemblée la vote, une destitution du Président de la République est possible.

Afin de ne pas perturber le fonctionnement régulier des institutions publiques ainsi que la continuité de l’État, il est bien évident que cette procédure ne doit être appliquée que dans des cas gravissimes.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut être poursuivi, ni jugé, quand il est en fonction. Mais peut-il intenter un procès ?

Me BUFFLER : eh bien, c’est toute la question. D’un côté, pendant son mandat, le Président de la République est inattaquable, mais de l’autre il peut intenter un procès à qui bon lui semble sans risquer le moindre retour de bâton si son action devait être jugée abusive ou mal-fondée. Il y a de toute évidence un déséquilibre difficilement acceptable.

La Cour de Cassation sera prochainement amenée à faire connaître sa position sur ce point dans le cadre de l’affaire des comptes piratés (en 2008 N. SARKOZY avait vu son compte bancaire privé piraté et débité par des escrocs).

Pour l’heure la constitution de partie civile de N. SARKOZY a été jugée recevable, étant précisé que le tribunal de première instance avait jugée qu’il fallait attendre la fin de son mandat pour statuer sur sa demande de dommages et intérêts, ce qui paraît une position judicieuse. On ne peut pas en effet renvoyer en fin de mandat les affaires pour lesquelles on est défendeur pour bénéficier par ailleurs de la célérité normale de la justice quand on est en demande.

Mme VIAL : enfin, sauf erreur, tout ancien Président de la République est membre de droit du Conseil Constitutionnel. Du fait de sa condamnation pénale, J. CHIRAC ne perd-il pas son droit de siéger au Conseil Constitutionnel ?

Me BUFFLER : non, pas du tout, et c’est bien tout le problème : hors empêchement physique ou incompatibilité, la Constitution française ne prévoit pas de cas de révocation des membres du Conseil Constitutionnel, encore moins pour les anciens Président de la République qui en sont membres à vie.

Dans l’absolu, en l’état des textes actuels, même condamné et détenu, rien n’empêcherait un ancien Président de la République de continuera à siéger au Conseil Constitutionnel.

Cela est bien évidemment difficilement acceptable, d’autant que le rôle du Conseil Constitutionnel s’est grandement développé depuis l’adoption de la QPC en 2010.

Il convient manifestement de revoir la législation sur ce point.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage.

Timbre de 35 euros : fin ?

A compter du lundi 16 janvier 2012 la contribution pour l’aide juridique doit obligatoirement être acquittée par les avocats par l’achat de timbres dématérialisés sur le site « www.timbre.justice.gouv.fr ».

Problème : si l’ensemble des TGi semble avoir receptionné le matériel (douchettes) permettant la lecture des timbres dématérialisés, ils ne seraient pas encore tous opérationnels au 16 janvier 2012.

L’usage des timbres papier devrait donc perdurer encore quelques jours (semaines ?).