Archive dans septembre 2010

Le juge de la liberté et de la détention

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions la remise en liberté du présumé complice du braqueur du casino d’Uriage-les-Bains par le Juge de la liberté et de la détention de Grenoble. Ministre de l’Intérieur, syndicat de policiers, … nombreuses ont été les personnes à s’indigner de cette remise en liberté.

Première question : qu’est-ce que le juge de la liberté et de la détention ?

Me BUFFLER : le Juge de la Liberté et de la Détention (JLD) a été crée en 2000 suite aux abus de nombre de juges d’instruction qui n’hésitaient pas à mettre des personnes en détention provisoire dans le seul but de les faire craquer et d’obtenir des aveux.

Cette technique a tellement bien marché que des personnes innocentes en sont venues à avouer des crimes qu’elles n’avaient pas commis dans l’espoir, vain, que leur détention provisoire cesse.

Le Ministère de la Justice s’est également rendu compte qu’alors que la détention doit être l’exception, elle devenait trop souvent le principe.

Afin de couper court à ces pratiques, en 2000 on a retiré au juge d’instruction le pouvoir de placer en détention provisoire les gens qu’il mettait en examen.

On a ainsi créé le JLD qui est chargé de dire si la personne poursuivie mérite ou non d’être placée en détention provisoire comme le demande le juge d’instruction.

Mme VIAL : le nombre de personnes placées en détention provisoire a-t-il dès lors baissé ?

Me BUFFLER : trop peu ; trop souvent le JLD se contente de confirmer la demande de placement du juge d’instruction en reprenant mot pour mot les arguments du parquet.

Il se trouve fort heureusement des JLD qui procèdent à un véritable examen du dossier qui leur est soumis et rejette la demande de détention provisoire sollicitée.

C’est manifestement ce qui est arrivé dans le cas du complice présumé du braqueur du casino d’Uriage.

Mme VIAL : justement, dans le cas du casino d’Uriage, n’est-il pas incompréhensible qu’une personne qui semble avoir voulu échapper à la police soit simplement mise sous contrôle judiciaire avec le risque qu’elle ne cherche une fois de plus à fuir la justice française ?

Me BUFFLER : en France, pour qu’une mesure de détention provisoire puisse être ordonnée, elle doit être le seul moyen :

 de conserver les preuves,

 d’empêcher une pression sur les témoins ou les victimes,

 d’éviter une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices,

 de protéger le mis en examen,

 de mettre fin à l’infraction ou/et d’éviter son renouvellement,

 ou de garantir le maintien de l’intéressé à la disposition de la justice, c’est-à-dire éviter sa fuite.

Manifestement le JLD de Grenoble a estimé qu’aucune de ces conditions n’était remplie, même celle concernant le risque de fuite.

N’étant pas constitué dans ce dossier, je me garderai bien de porter un jugement sur le bien fondé de la décision de remise en liberté du magistrat. Par expérience je peux toutefois vous affirmer qu’il faut toujours se méfier des compte-rendus et autres raccourcis simplistes. La réalité est souvent bien plus complexe.

Par exemple, dans la cas du casino d’Uriage, il semble que la personne arrêtée niait non seulement les faits, ce qui en soit est assez classique, mais que surtout elle avait un alibi et deux témoins à décharge, ce qui est déjà beaucoup plus rare.

Il faut donc être très prudent.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La constitution de partie civile

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions que la ville de Paris serait en passe de signer un protocole d’accord avec M. CHIRAC et l’UMP. En effet, la ville de Paris retirerait sa constitution de partie civile en contrepartie du versement de 2.2 millions d’euros. Cette somme correspondrait au montant des salaires indûment réglés par la ville de Paris au titre des emplois fictifs de l’ère CHIRAC.

Première question : qu’est-ce qu’une constitution de partie civile ?

Me BUFFLER : pour comprendre, il faut en revenir aux fondamentaux de notre droit : lorsque vous êtes victime d’un préjudice – matériel, physique ou moral – vous avez le droit d’être indemnisé.

Si le responsable de votre dommage refuse de vous indemniser, ou si l’indemnisation qu’il vous propose (généralement une somme d’argent) vous semble trop faible, vous pouvez saisir un tribunal qui jugera du bien fondé de votre droit à indemnisation et en fixera le montant.

Cette action en indemnisation est une action civile. Elle a pour seul but d’indemniser la victime sans chercher à taper sur les doigts du responsable, si ce n’est en le tapant au portefeuille.

Mme VIAL : par exemple ?

Me BUFFLER : un exemple concret : vous faites refaire les fenêtres de votre maison. L’entreprise mandatée réalise un travail de cochon. Eh bien si elle refuse de vous indemniser, vous saisirez les tribunaux civils (tribunal d’instance ou de grande instance) qui la condamneront à vous régler les frais de remise en état.

Pénalement, il n’y a rien à reprocher à cette entreprise.

Par contre, ce qui arrive souvent est qu’un litige relève à la fois du pénal et du civil, c’est-à-dire que le fait répréhensible à l’origine de votre préjudice est sanctionné par le Code Pénal.

Mme VIAL : par exemple ?

Me BUFFLER : par exemple, vous êtes renversé par une voiture. Vous vous retrouvez paraplégique. Le conducteur était ivre. Dans ce cas, non seulement vous avez le droit d’être indemnisé au titre de votre préjudice mais en plus le conducteur sera poursuivi au pénal pour conduite en état d’ivresse avec la forte probabilité d’être condamné à une peine de prison.

Le souci est que les actions civiles relèvent des tribunaux civils et les actions pénales des juridictions répressives, ce qui signifie que pour un même dossier, selon l’aspect abordé, civil ou pénal, ce seront des tribunaux différents qui seront saisis, ce qui apparait un peu aberrant, d’autant que chaque tribunal peut aboutir à des conclusions différentes (coupable pour l’un, non responsable pour l’autre, ou inversement).

Pour éviter ce problème, on permet à la victime d’intervenir au procès pénal en tant que partie civile, c’est-à-dire qu’elle indiquera au juge pénal qu’elle souhaite que l’entier dossier soit traité par son tribunal, le juge pénal étant ainsi tenu de statuer à la fois sur la culpabilité (et la peine) de la personne poursuivie ainsi que sur l’indemnisation de la victime.

Mme VIAL : et donc dans le cas des emplois fictifs de la ville de Paris ?

Me BUFFLER : dans ce cas, les emplois fictifs ont apparemment coûté à la Ville de Paris près de 2.2 millions d’euros. Comme M. CHIRAC est poursuivi devant le tribunal correctionnel, la Ville de Paris est en droit d’en demander le remboursement devant ce tribunal, au plus tard le jour du procès.

Ce n’est toutefois nullement une obligation, surtout si au final elle a été réglée de la totalité de son préjudice avant le procès.

Mme VIAL : les tractations qui semblent avoir actuellement lieu apparaissent cependant comme un marché : tu retires ta constitution de partie civile et en contrepartie je te paie sans regimber les 2.2 millions d’euros que tu demandes. Quel est l’intérêt de ce retrait pour J. CHIRAC ?

Me BUFFLER : il faut comprendre qu’un procès pénal, quand une partie civile est constituée, est un procès à 3 : l’accusation, la victime et la défense. Généralement la victime et l’accusation se soutiennent mutuellement pour obtenir la condamnation de la défense qui se trouve ainsi devoir affronter 2 adversaires.

Si la Ville de Paris retire sa constitution de partie civile, M.CHIRAC n’a plus qu’un seul adversaire, l’accusation. Et quand on sait que l’accusation entend apparemment requérir la mise hors de cause de notre ancien Président de La République, on voit tout l’intérêt de M. CHIRAC à conclure un accord avec la Ville de Paris avant le procès.

Mme VIAL : si l’accord envisagé est parfaitement légal, pourquoi choque-t-il autant ?

Me BUFFLER : eh bien, il faut savoir que quand bien même la victime est indemnisée par la défense, celle-ci peut parfaitement maintenir sa constitution de partie civile lors du procès, quitte à demander au tribunal un euro symbolique de dommages et intérêts.

Dans une telle hypothèse, l’intérêt d’une constitution de partie civile n’est bien sûr pas tant d’obtenir une indemnisation puisqu’elle a déjà été obtenue, mais de soutenir l’accusation en insistant sur le nécessité d’une condamnation pénale de la personne poursuivie.

Ce qui est choquant dans le cas de la Ville de Paris c’est qu’elle est dirigée par le PS qui semble disposé à ne pas utiliser cette formidable tribune qu’est le procès des emplois fictifs pour dénoncer le système illégal mis en place par le RPR dans les années 80.

Pourquoi cette fleur ? Cela paraît difficilement compréhensible et donne l’impression que par-delà les clivages politiques il convient surtout de ne pas jeter une lumière trop crue sur des pratiques qui de toute évidence ne se sont pas limitées au RPR.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La responsabilité pénale des parents

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions qu’Eric CIOTTI, secrétaire national de l’UMP en charge de la Sécurité, préparait un texte de loi visant à condamner jusqu’à 2 ans de prison les parents dont les enfants ne respecteraient les termes de leurs condamnations.

Les défenseurs des droits de l’homme ont critiqué avec virulence cette proposition. Comment cela se fait-il ? Sauf erreur, depuis toujours les parents d’enfants mineurs sont responsables des bêtises que pourraient commettre leurs rejetons, non ?

Me BUFFLER : ce que vous dîtes est à la fois vrai et faux. En fait, pour répondre à vos interrogations, il faut bien distinguer la responsabilité civile de la responsabilité pénale.

Depuis au minimum la naissance du code civil en 1804, il est effectivement vrai que les parents sont civilement responsables des préjudices causés par leurs enfants mineurs.

Cela signifie que si un enfant de moins de 18 ans casse une vitre, vole un scooter ou blesse quelqu’un, c’est lui mais surtout ses parents qui devront indemniser la victime.

En matière pénale, cela est totalement différent. Le principe à valeur constitutionnelle est que « Nul n’est responsable que de son propre fait ». Cela signifie que personne ne peut être jugé responsable et condamné pénalement pour des infractions commises par un autre.

Ainsi, si un enfant mineur met le feu à une poubelle, feu qui se propage à tout l’immeuble causant la mort de plusieurs personnes du fait des fumées toxiques dégagées par l’incendie, ses parents seront condamnés à indemniser les victimes mais ne risqueront en aucun cas une peine de prison.

Mme VIAL : pourtant il semblerait qu’il existe déjà des cas de responsabilité pénale du fait d’autrui, non ?

Me BUFFLER : oui, effectivement, il y a bien quelques rares exceptions en matière de droit de la presse ou de débits de boissons mais ces exceptions ne sont pas transposables au cas de la responsabilité pénale des parents.

Mme VIAL : rendre les parents responsables pénalement du comportement de leurs enfants seraient donc une révolution ?

Me BUFFLER : oui, et personne n’avait osé porté atteinte à ce principe fondamental de notre droit pénal avant le régime nazi.

Mme VIAL : comment ça ?

Me BUFFLER : il faut en effet savoir que la dernière fois que le principe de la responsabilité pénale du fait d’autrui a été affirmé en France, cela l’a été en Alsace-Moselle sous le régime nazi.

Les nazis appelaient cette responsabilité du fait d’autrui « sippenhaft », c’est-à-dire la responsabilité du clan (sippen = clan en allemand) ; la responsabilité des individus était étendue à la famille.

Cela a eu une traduction très concrète en Alsace-Moselle : si un fils, un frère ou un père refusait l’incorporation de force dans la Wehrmacht, il prenait le risque de faire transférer dans un camp de travail de l’Allemagne profonde sa femme, ses enfants, ses parents, ou ses frères et soeurs, voire causer leur mort sous la torture de la Gestapo.

12 000 alsaciens ont eu à subir cette mesure pendant la 2e Guerre Mondiale.

Je ne suis pas certain que cela soit très judicieux de faire appel à l’arsenal juridique nazi pour répondre à la montée de la délinquance en France, ni d’ailleurs dans aucun autre pays du monde.

La lutte contre la délinquance ou le terrorisme ne doit pas faire perdre la tête à nos démocraties. Si nos démocraties représentent des régimes enviables et enviés, c’est bien parce que des droits et libertés fondamentaux ont été institués au bénéfice des citoyens. Il ne faudrait pas que petit bout par petit bout tous ces principes fondamentaux s’envolent.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.