Archive dans septembre 2012

LE DROIT LOCAL DES CULTES EN PERIL

Communiqué « Laïcité » de l’APFDH du 21 août 2012 :

« Après analyse des propositions de M. le Président de la République et des réactions de 19 associations laïques nationales, comme d’une dizaine d’associations d’Alsace Moselle, la Fédération Française de l’Ordre Maçonnique Mixte International « LE DROIT HUMAIN » se déclare favorable à l’inscription dans la Constitution du titre 1° de la Loi de séparation des églises et de l’Etat et notamment son article 2.

Elle est par contre opposée à l’inclusion dans la Constitution du statut particulier des cultes en Alsace Moselle.

La République est une et indivisible.

La Fédération Française de l’Ordre Maçonnique Mixte International « LE DROIT HUMAIN » s’associe à la demande de nomination dune commission parlementaire chargée d’étudier les modalités dune sortie graduelle et négociée du régime dérogatoire des cultes en Alsace Moselle, sans remise en cause des acquis sociaux du droit local.

Nous souhaiterions notamment que cette commission prône la suppression du délit de blasphème encore en vigueur dans ces départements et quelle défende le rétablissement des lois Ferry, avec en particulier la suppression de l’enseignement religieux au sein de l’école publique. »

Pour comprendre ce communiqué, il faut relire l’article 2 de la loi du 19 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.

Cet article énonce : « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier 1906 seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. »

Cet article est bien évidemment radicalement contraire à notre régime de droit local hérité du Concordat signé en 1801 par Napoléon 1er, conservé en 1870 par les Allemands et non remis en cause par la France en 1919, lequel fait notamment des prêtres et rabbins des quasi fonctionnaires de l’État et permet l’enseignement religieux à l’école publique.

Si l’article 2 de la loi de 1905 devait être intégré dans la Constitution française, tout texte contraire devrait purement et simplement disparaître puisque aucun texte normatif applicable en France ne peut être contraire à la Constitution.

Intégrer l’article 2 de la loi de 1905 à la Constitution française signerait ainsi la mort du Concordat et du régime dérogatoire des cultes en Alsace Moselle.

Pour éviter cela, la seule solution serait de prévoir dans la Constitution française une exception au principe de laïcité propre à l’Alsace Moselle, ce qui donnerait dès lors au régime concordataire d’Alsace Moselle valeur constitutionnelle, et cela les laïcs purs et durs n’en veulent surtout pas.

Mais plutôt que de ne rien faire – après tout cela fait plus de 200 ans que l’Alsace Moselle vit sous le régime concordataire et presque 100 que le droit local existe, sans que cela n’ait posé de difficultés majeures – nos laïcs pur beurre ont décidé d’aller plus loin en demandant la suppression pure et simple du droit local des cultes au nom du principe que la République est une et indivisible, tout en acceptant le maintien du reste du droit local.

Première contradiction manifeste. La République doit être une et indivisible en matière de culte mais pas en matière de protection sociale.

Surtout,  l’Etat-Nation France s’est bâti sur le principe d’un État centralisé dont les particularismes locaux devaient à tout prix disparaître, L’abbé GREGOIRE ne disait-il pas en 1794 : « le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l’émigration et la haine de la République parlent allemand… La Contre-révolution parle l’italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreurs. »

Avec ce communiqué et cette remise en cause du droit local ne revient-on pas aux heures les plus sombres de l’abbé GREGOIRE ?! Pas une parcelle du territoire français ne saurait vivre à un rythme différent de celui de la capitale, quand bien même ce particularisme ne poserait pas de difficulté.

Les ayatollahs de la laïcité ne supportent pas que leur dogme puisse connaître le moindre aménagement.

Car, en quoi cette suppression du droit local des cultes est-elle nécessaire ? Nulle guerre des religions en Alsace Moselle, ni entre athées et croyants. Bien plus, avec la montée des extrémismes religieux, certains s’interrogent quant à la nécessaire extension de l’enseignement de toutes les religions, notamment musulmane, à l’école et ce sur l’ensemble du territoire de la République.

Il est vrai que le régime concordataire ne reconnaît que 3 religions, (catholique, protestante et israélite) mais plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain au prétexte que le régime concordataire est perfectible, il conviendrait de le conserver et de l’ouvrir, notamment à la religion musulmane.

En outre, les évolutions législatives et jurisprudentielles au cours du XXe siècle en France ont développé une « conception très ouverte de la laïcité » permettant des financements indirects des cultes. Constitutionnaliser l’article 2 de la loi de 1905, pourrait faire peser un «risque juridique sur l’équilibre» actuel.

Enfin, quelles sont ces « dizaine d’associations d’Alsace Moselle » que « LE DROIT HUMAIN » aurait consulté ? A supposer qu’elles existent, quelle est leur légitimité ? 

*

NB : pour ce qui est du délit de blasphème toujours en vigueur en Alsace Moselle, il ne résulte nullement du concordat mais du code pénal allemand. Son abrogation paraît effectivement souhaitable mais n’a strictement rien à voir avec le débat relatif à la loi de 1905.

Le délit de blasphème toujours en vigueur en Alsace Moselle

Depuis la semaine dernière et la publication par le journal CHARLIE HEBDO de plusieurs caricatures tournant en dérision Mahomet, les média ne cessent de nous répéter que le délit de blasphème aurait disparu du territoire français depuis le XVIIIe siècle.

Et bien cela est radicalement faux. Le délit de blasphème est toujours en vigueur en Alsace Moselle.

Contrairement à ce qui est souvent mais faussement affirmé, cette survivance (ou plutôt archaïsme dans notre société française très largement sécularisée) n’est nullement la conséquence du maintien du Concordat de 1801 en Alsace Moselle.

Elle est en réalité la conséquence du maintien en 1919 de divers textes de loi allemands issus des codes allemands en vigueur en Alsace Moselle de 1870 à 1918, lesquels constituent aujourd’hui une bonne part de ce que l’on appelle le « droit local ».

C’est ainsi que divers textes des codes civil, de commerce et pénal allemands antérieurs à 1918 ont toujours cours en Alsace Moselle, dans leur version d’origine traduite (parfois maladroitement) en français, quand bien même ces textes auraient été abrogés ou modifiés depuis dans leur pays d’origine.

En matière pénale, les articles 166 et 167 du code pénal allemand d’avant 1918 ont notamment été maintenus. Ces deux articles sanctionnent deux délits dans le domaine religieux :

– l’article 166 du code pénal local punit d’une peine de trois ans de prison maximum le blasphème public contre Dieu :

Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse […], ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ou qui, dans

une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus.

– l’article 167 sanctionne les atteintes au libre exercice du culte :

Celui qui, par voie de fait ou menaces, aura empêché une personne d’exercer le culte d’une communauté religieuse établie dans l’Etat […], ou qui, dans une église, aura par tapage ou désordre volontairement empêché ou troublé le culte ou certaines cérémonies du culte […] sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces deux articles ne subsistent pas seulement comme traces anecdotiques d’un passé révolu. Ils ont ainsi été utilisés en 1954 par la Cour d’Appel de Colmar qui avait retenu « le trouble volontairement apporté au culte » contre deux personnes qui avaient harangué les fidèles à l’issue d’une messe.

Surtout, ils ont entrainé en 1997 la condamnation de cinq militants d’Act Up à quarante jours amende à 100 F (soit 400 F d’amende qui, si elle ne devait pas être réglée, entrainait l’emprisonnement des mauvais payeurs pour 40 jours) pour avoir perturbé une messe en la cathédrale de Strasbourg (cf http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1258), condamnation confirmée en 1999 par la Cour de Cassation (crim. 30/11/1999, n° de pourvoi 98-84916).

Quel avenir pour ces deux textes ?

Par un communiqué du 21 août 2012, divers mouvements maçonniques ont demandé leur abrogation (cf http://www.droithumain-france.org/contenu/le-droit-humain-dans-la-cite/e…) alors que parallélement la pression redouble à l’ONU pour que le droit international interdise le dénigrement des religions (cf http://www.lavie.fr/chroniques/matinale-chretienne/au-moyen-orient-chret…).