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La réforme de la carte judiciaire : une réforme ratée

En 2007, lors de la campagne des présidentielles, Nicolas Sarkozy avait annoncé qu’il fallait absolument revoir la carte judiciaire des tribunaux français. Tout le monde était d’accord. Résultat, une réforme consensuelle qui aurait pu être menée à la satisfaction de tous s’est transformée en un véritable fiasco car, une fois élu, Nicolas Sarkozy a effectivement revu la carte judiciaire mais sans consulter qui que ce soit (juges, avocats, greffiers ou justiciables). La réforme a ainsi été menée de Paris au mépris des réalités locales.

En Nord-Alsace cette réforme ubuesque s’est concrétisée par la disparation des tribunaux d’instance de Brumath et Wissembourg qui ont dû fusionner avec celui de Haguenau.

La réforme s’étant faite dans la précipitation et sans la moindre concertation, à Haguenau il a fallu trouver en urgence des locaux pour accueillir les personnels et dossiers en provenance de Brumath et Wissembourg. Tout a été envisagé : occuper des locaux militaires désaffectés, déposer des préfabriqués sur un terrain vague le long de la voie ferrée, … Et pourquoi pas louer une péniche sur la Moder tant qu’on y est ? Face au ridicule de la situation et au manque manifeste de locaux disponibles, les services judiciaires ont finalement décidé d’entasser tout le monde dans les anciens locaux du tribunal d’instance de Haguenau, au besoin en mettant 4 greffiers par bureau.

Le plus surprenant est qu’au départ les tribunaux d’instance n’étaient pas vraiment concernés par la réforme. C’étaient surtout les tribunaux de grande instance faisant doublons qui étaient visés, notamment en Alsace ceux de Strasbourg et Saverne ou, dans une moindre mesure, ceux de Colmar et Mulhouse. Toutefois, face aux levers de boucliers locaux, le Ministère de la Justice a reculé et s’est finalement rabattu sur les tribunaux d’instance dont les élus locaux sont beaucoup moins remuants, voire carrément soumis. Brumath en est un bon exemple.

Ainsi, par un tour de passe-passe, les tribunaux de grande instance qui devaient initialement disparaître se sont presque tous maintenus, alors que les tribunaux d’instance (qui étaient à ce jour encore les seuls tribunaux à fonctionner à peu près normalement avec des délais relativement courts et respectés) se sont trouvés à devoir fusionner en urgence.

La catastrophe n’est pas loin. A Haguenau par exemple, les justiciables se retrouvent aujourd’hui avec des audiences où jusqu’à 140 dossiers sont appelés en même temps, soit des heures d’attente. Les salles d’audience sont bondées et les délais largement dépassés, sans parler des kilomètres supplémentaires que doivent effectuer les justiciables, notamment depuis Wissembourg.

Et dire que l’ensemble de cette réforme a été menée sous un prétendu souci d’efficacité et d’économie. On pourrait en rigoler si le même drame ne se jouait pas dans les hôpitaux, l’éducation nationale, Pôle Emploi, la police, l’armée, … bref tout ce qui fait qu’un État existe et fonctionne.

Le juge de la liberté et de la détention

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions la remise en liberté du présumé complice du braqueur du casino d’Uriage-les-Bains par le Juge de la liberté et de la détention de Grenoble. Ministre de l’Intérieur, syndicat de policiers, … nombreuses ont été les personnes à s’indigner de cette remise en liberté.

Première question : qu’est-ce que le juge de la liberté et de la détention ?

Me BUFFLER : le Juge de la Liberté et de la Détention (JLD) a été crée en 2000 suite aux abus de nombre de juges d’instruction qui n’hésitaient pas à mettre des personnes en détention provisoire dans le seul but de les faire craquer et d’obtenir des aveux.

Cette technique a tellement bien marché que des personnes innocentes en sont venues à avouer des crimes qu’elles n’avaient pas commis dans l’espoir, vain, que leur détention provisoire cesse.

Le Ministère de la Justice s’est également rendu compte qu’alors que la détention doit être l’exception, elle devenait trop souvent le principe.

Afin de couper court à ces pratiques, en 2000 on a retiré au juge d’instruction le pouvoir de placer en détention provisoire les gens qu’il mettait en examen.

On a ainsi créé le JLD qui est chargé de dire si la personne poursuivie mérite ou non d’être placée en détention provisoire comme le demande le juge d’instruction.

Mme VIAL : le nombre de personnes placées en détention provisoire a-t-il dès lors baissé ?

Me BUFFLER : trop peu ; trop souvent le JLD se contente de confirmer la demande de placement du juge d’instruction en reprenant mot pour mot les arguments du parquet.

Il se trouve fort heureusement des JLD qui procèdent à un véritable examen du dossier qui leur est soumis et rejette la demande de détention provisoire sollicitée.

C’est manifestement ce qui est arrivé dans le cas du complice présumé du braqueur du casino d’Uriage.

Mme VIAL : justement, dans le cas du casino d’Uriage, n’est-il pas incompréhensible qu’une personne qui semble avoir voulu échapper à la police soit simplement mise sous contrôle judiciaire avec le risque qu’elle ne cherche une fois de plus à fuir la justice française ?

Me BUFFLER : en France, pour qu’une mesure de détention provisoire puisse être ordonnée, elle doit être le seul moyen :

 de conserver les preuves,

 d’empêcher une pression sur les témoins ou les victimes,

 d’éviter une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices,

 de protéger le mis en examen,

 de mettre fin à l’infraction ou/et d’éviter son renouvellement,

 ou de garantir le maintien de l’intéressé à la disposition de la justice, c’est-à-dire éviter sa fuite.

Manifestement le JLD de Grenoble a estimé qu’aucune de ces conditions n’était remplie, même celle concernant le risque de fuite.

N’étant pas constitué dans ce dossier, je me garderai bien de porter un jugement sur le bien fondé de la décision de remise en liberté du magistrat. Par expérience je peux toutefois vous affirmer qu’il faut toujours se méfier des compte-rendus et autres raccourcis simplistes. La réalité est souvent bien plus complexe.

Par exemple, dans la cas du casino d’Uriage, il semble que la personne arrêtée niait non seulement les faits, ce qui en soit est assez classique, mais que surtout elle avait un alibi et deux témoins à décharge, ce qui est déjà beaucoup plus rare.

Il faut donc être très prudent.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La constitution de partie civile

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions que la ville de Paris serait en passe de signer un protocole d’accord avec M. CHIRAC et l’UMP. En effet, la ville de Paris retirerait sa constitution de partie civile en contrepartie du versement de 2.2 millions d’euros. Cette somme correspondrait au montant des salaires indûment réglés par la ville de Paris au titre des emplois fictifs de l’ère CHIRAC.

Première question : qu’est-ce qu’une constitution de partie civile ?

Me BUFFLER : pour comprendre, il faut en revenir aux fondamentaux de notre droit : lorsque vous êtes victime d’un préjudice – matériel, physique ou moral – vous avez le droit d’être indemnisé.

Si le responsable de votre dommage refuse de vous indemniser, ou si l’indemnisation qu’il vous propose (généralement une somme d’argent) vous semble trop faible, vous pouvez saisir un tribunal qui jugera du bien fondé de votre droit à indemnisation et en fixera le montant.

Cette action en indemnisation est une action civile. Elle a pour seul but d’indemniser la victime sans chercher à taper sur les doigts du responsable, si ce n’est en le tapant au portefeuille.

Mme VIAL : par exemple ?

Me BUFFLER : un exemple concret : vous faites refaire les fenêtres de votre maison. L’entreprise mandatée réalise un travail de cochon. Eh bien si elle refuse de vous indemniser, vous saisirez les tribunaux civils (tribunal d’instance ou de grande instance) qui la condamneront à vous régler les frais de remise en état.

Pénalement, il n’y a rien à reprocher à cette entreprise.

Par contre, ce qui arrive souvent est qu’un litige relève à la fois du pénal et du civil, c’est-à-dire que le fait répréhensible à l’origine de votre préjudice est sanctionné par le Code Pénal.

Mme VIAL : par exemple ?

Me BUFFLER : par exemple, vous êtes renversé par une voiture. Vous vous retrouvez paraplégique. Le conducteur était ivre. Dans ce cas, non seulement vous avez le droit d’être indemnisé au titre de votre préjudice mais en plus le conducteur sera poursuivi au pénal pour conduite en état d’ivresse avec la forte probabilité d’être condamné à une peine de prison.

Le souci est que les actions civiles relèvent des tribunaux civils et les actions pénales des juridictions répressives, ce qui signifie que pour un même dossier, selon l’aspect abordé, civil ou pénal, ce seront des tribunaux différents qui seront saisis, ce qui apparait un peu aberrant, d’autant que chaque tribunal peut aboutir à des conclusions différentes (coupable pour l’un, non responsable pour l’autre, ou inversement).

Pour éviter ce problème, on permet à la victime d’intervenir au procès pénal en tant que partie civile, c’est-à-dire qu’elle indiquera au juge pénal qu’elle souhaite que l’entier dossier soit traité par son tribunal, le juge pénal étant ainsi tenu de statuer à la fois sur la culpabilité (et la peine) de la personne poursuivie ainsi que sur l’indemnisation de la victime.

Mme VIAL : et donc dans le cas des emplois fictifs de la ville de Paris ?

Me BUFFLER : dans ce cas, les emplois fictifs ont apparemment coûté à la Ville de Paris près de 2.2 millions d’euros. Comme M. CHIRAC est poursuivi devant le tribunal correctionnel, la Ville de Paris est en droit d’en demander le remboursement devant ce tribunal, au plus tard le jour du procès.

Ce n’est toutefois nullement une obligation, surtout si au final elle a été réglée de la totalité de son préjudice avant le procès.

Mme VIAL : les tractations qui semblent avoir actuellement lieu apparaissent cependant comme un marché : tu retires ta constitution de partie civile et en contrepartie je te paie sans regimber les 2.2 millions d’euros que tu demandes. Quel est l’intérêt de ce retrait pour J. CHIRAC ?

Me BUFFLER : il faut comprendre qu’un procès pénal, quand une partie civile est constituée, est un procès à 3 : l’accusation, la victime et la défense. Généralement la victime et l’accusation se soutiennent mutuellement pour obtenir la condamnation de la défense qui se trouve ainsi devoir affronter 2 adversaires.

Si la Ville de Paris retire sa constitution de partie civile, M.CHIRAC n’a plus qu’un seul adversaire, l’accusation. Et quand on sait que l’accusation entend apparemment requérir la mise hors de cause de notre ancien Président de La République, on voit tout l’intérêt de M. CHIRAC à conclure un accord avec la Ville de Paris avant le procès.

Mme VIAL : si l’accord envisagé est parfaitement légal, pourquoi choque-t-il autant ?

Me BUFFLER : eh bien, il faut savoir que quand bien même la victime est indemnisée par la défense, celle-ci peut parfaitement maintenir sa constitution de partie civile lors du procès, quitte à demander au tribunal un euro symbolique de dommages et intérêts.

Dans une telle hypothèse, l’intérêt d’une constitution de partie civile n’est bien sûr pas tant d’obtenir une indemnisation puisqu’elle a déjà été obtenue, mais de soutenir l’accusation en insistant sur le nécessité d’une condamnation pénale de la personne poursuivie.

Ce qui est choquant dans le cas de la Ville de Paris c’est qu’elle est dirigée par le PS qui semble disposé à ne pas utiliser cette formidable tribune qu’est le procès des emplois fictifs pour dénoncer le système illégal mis en place par le RPR dans les années 80.

Pourquoi cette fleur ? Cela paraît difficilement compréhensible et donne l’impression que par-delà les clivages politiques il convient surtout de ne pas jeter une lumière trop crue sur des pratiques qui de toute évidence ne se sont pas limitées au RPR.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La responsabilité pénale des parents

Chronique septembre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions qu’Eric CIOTTI, secrétaire national de l’UMP en charge de la Sécurité, préparait un texte de loi visant à condamner jusqu’à 2 ans de prison les parents dont les enfants ne respecteraient les termes de leurs condamnations.

Les défenseurs des droits de l’homme ont critiqué avec virulence cette proposition. Comment cela se fait-il ? Sauf erreur, depuis toujours les parents d’enfants mineurs sont responsables des bêtises que pourraient commettre leurs rejetons, non ?

Me BUFFLER : ce que vous dîtes est à la fois vrai et faux. En fait, pour répondre à vos interrogations, il faut bien distinguer la responsabilité civile de la responsabilité pénale.

Depuis au minimum la naissance du code civil en 1804, il est effectivement vrai que les parents sont civilement responsables des préjudices causés par leurs enfants mineurs.

Cela signifie que si un enfant de moins de 18 ans casse une vitre, vole un scooter ou blesse quelqu’un, c’est lui mais surtout ses parents qui devront indemniser la victime.

En matière pénale, cela est totalement différent. Le principe à valeur constitutionnelle est que « Nul n’est responsable que de son propre fait ». Cela signifie que personne ne peut être jugé responsable et condamné pénalement pour des infractions commises par un autre.

Ainsi, si un enfant mineur met le feu à une poubelle, feu qui se propage à tout l’immeuble causant la mort de plusieurs personnes du fait des fumées toxiques dégagées par l’incendie, ses parents seront condamnés à indemniser les victimes mais ne risqueront en aucun cas une peine de prison.

Mme VIAL : pourtant il semblerait qu’il existe déjà des cas de responsabilité pénale du fait d’autrui, non ?

Me BUFFLER : oui, effectivement, il y a bien quelques rares exceptions en matière de droit de la presse ou de débits de boissons mais ces exceptions ne sont pas transposables au cas de la responsabilité pénale des parents.

Mme VIAL : rendre les parents responsables pénalement du comportement de leurs enfants seraient donc une révolution ?

Me BUFFLER : oui, et personne n’avait osé porté atteinte à ce principe fondamental de notre droit pénal avant le régime nazi.

Mme VIAL : comment ça ?

Me BUFFLER : il faut en effet savoir que la dernière fois que le principe de la responsabilité pénale du fait d’autrui a été affirmé en France, cela l’a été en Alsace-Moselle sous le régime nazi.

Les nazis appelaient cette responsabilité du fait d’autrui « sippenhaft », c’est-à-dire la responsabilité du clan (sippen = clan en allemand) ; la responsabilité des individus était étendue à la famille.

Cela a eu une traduction très concrète en Alsace-Moselle : si un fils, un frère ou un père refusait l’incorporation de force dans la Wehrmacht, il prenait le risque de faire transférer dans un camp de travail de l’Allemagne profonde sa femme, ses enfants, ses parents, ou ses frères et soeurs, voire causer leur mort sous la torture de la Gestapo.

12 000 alsaciens ont eu à subir cette mesure pendant la 2e Guerre Mondiale.

Je ne suis pas certain que cela soit très judicieux de faire appel à l’arsenal juridique nazi pour répondre à la montée de la délinquance en France, ni d’ailleurs dans aucun autre pays du monde.

La lutte contre la délinquance ou le terrorisme ne doit pas faire perdre la tête à nos démocraties. Si nos démocraties représentent des régimes enviables et enviés, c’est bien parce que des droits et libertés fondamentaux ont été institués au bénéfice des citoyens. Il ne faudrait pas que petit bout par petit bout tous ces principes fondamentaux s’envolent.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

La commission d’indemnisation des victimes

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques semaines nous apprenions qu’Ingrid BETANCOURT, ancien otage des FARC en Colombie, réclamerait à la France, par le biais de la commission d’indemnisation des victimes, près de 450 000 euros de dommages et intérêts pour les 6 ans qu’elle a passés dans la jungle. Qu’est ce que cette commission d’indemnisation des victimes ?

Me BUFFLER : la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) a pour but d’indemniser les personnes victimes d’une infraction pénale qui ont subi un préjudice corporel, voire dans certains cas un préjudice matériel.

Il existe une CIVI auprès de chaque Tribunal de Grande Instance (T.G.I.).

Mme VIAL : mais pourquoi passer par la CIVI ? Sauf erreur, si l’on est victime d’une infraction pénale, il suffit de se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel et de chiffrer son préjudice ; le responsable sera alors condamné à nous indemniser, non ?

Me BUFFLER : oui, vous avez raison mais il n’est pas toujours possible de trouver le responsable, ou alors celui-ci peut être insolvable. Dans ces 2 cas le tribunal correctionnel ne peut pas faire grand chose pour la victime.

Dans le premier cas, si le responsable n’a pu être identifié, il n’ y aura pas de procès, donc pas d’indemnisation. Dans le second cas, la victime aura bien un jugement qui lui octroie des dommages et intérêts mais elle ne pourra pas recouvrer les fonds qui lui sont dus.

La CIVI va ainsi prendre le relai.

Mme VIAL : dans le cas d’Ingrid BETANCOURT, sans remettre en cause la dureté et la longueur de sa prise d’otage, n’est-il pas choquant qu’elle soit indemnisée alors que les faits ont eu lieu hors de France, que sa fortune personnelle est importante et que c’est elle même qui s’est jetée dans la gueule du loup ?

Me BUFFLER : pour être indemnisé par la CIVI, rien n’impose que l’infraction se soit déroulée sur le territoire national. Vous pouvez parfaitement être indemnisé pour un préjudice subi à l’étranger. L’indemnisation ne requière d’autres conditions que d’être français ou d’habiter en France de manière régulière, ce qui est bien le cas d’Ingrid BETANCOURT qui est franco-colombienne.

Par ailleurs, pour ce qui est de sa fortune, la loi précise qu’en cas d’incapacité totale de travail (ITT) égale ou supérieure à un mois, la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice personnel quels que soient ses revenus.

Compte tenu de la dureté et de la longueur de sa prise d’otage, de toute évidence Ingrid BETANCOURT a dû se voir reconnaître une ITT supérieure à 1 mois. Ainsi, elle a droit à la réparation intégrale de son préjudice personnel quelle que soit sa fortune et quoi que l’on puisse en penser.

La faute de la victime peut par contre justifier l’exclusion ou la réduction de l’indemnisation demandée. C’est à la CIVI d’apprécier. Ainsi, ce n’est pas parce qu’Ingrid BETANCOURT demande 450 000 euros qu’elle les obtiendra, d’autant qu’il semble qu’elle a finalement retiré sa demande.

Mme VIAL : en 2008, a été mis en place le Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (SARVI). Quelle est la différence entre le SARVi et la CIVI ?

Me BUFFLER : en fait l’Etat s’est aperçu que beaucoup de victimes, malgré un jugement leur octroyant une indemnisation, ne peuvent pas ou ne cherchent pas à recouvrer les sommes qui leur sont dues, leur débiteur étant insolvable.

Le recours à la CIVI étant relativement limité, ces victimes se retrouvaient dès lors sans rien. Pour mettre fin à cette injustice, en 2008 l’Etat a ainsi créé le SARVI.

L’intérêt du SARVI est que pour les dommages et intérêts inférieurs à 1 000 euros, il règle directement la somme à la victime. Pour les dommages et intérêts entre 1 000 et 3 000 euros, le SARVI va régler 30% de la somme et se charger de récupérer pour le compte de la victime le solde + les 30% qu’il a réglé.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La vidéosurveillance

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, suite aux récents incidents intervenus dans le quartier de La Villeneuve à Grenoble, le Président de la République a annoncé l’installation de plus de 60 000 caméras de surveillance supplémentaires dans les lieux publics. Quelle est la vision de l’avocat sur cette extension de la télésurveillance ?

Me BUFFLER : en-dehors de l’aspect « big brother », c’est-à-dire cet aspect déplaisant d’être observé à tout instant et à tout endroit, lequel ne peut bien évidemment manquer d’interpeller, il convient de se poser la question du bilan de la vidéosurveillance depuis les 10 ou 20 ans qu’elle est utilisée.

Or, son bilan est loin d’être positif, c’est le moins que l’on puisse dire.

En GB ou aux Etats-Unis où l’usage de la vidéosurveillance est bien plus développé qu’en France, les études menées concluent toutes à un effet sur la délinquance quasi nul. Seuls 3% des enquêtes seraient résolues grâce à la vidéosurveillance, et son effet dissuasif est apparemment tout aussi limité. En 2008 Scotland Yard n’a pas hésité à parler de fiasco total en matière de vidéosurveillance.

A ce propos, un spécialiste anglais de la videosurveillance a fait observer avec justesse que si les caméras garantissaient la sécurité des citoyens, Londres, la ville plus vidéosurveillée du monde avec quelques 500 000 caméras serait aussi la plus sûre, ce qui bien sûr est loin d’être le cas.

Mme VIAL : quelles sont les raisons de cet échec ?

Me BUFFLER : apparemment le problème n’est pas tant de filmer que de faire le tri.

A l’image des services secrets américains qui semblent submergés d’informations sans pouvoir opérer une hiérarchie entre celles qui sont de premières importances et celles qui sont sans aucun intérêt, la police n’arrive pas à faire face à la profusion d’images, de qualité très inégale.

Un seul exemple : il y a 2 ans j’ai été amené à défendre une personne suspectée d’avoir volontairement tiré des coups de carabine sur un commerçant, le manquant fort heureusement. La scène s’était passée dans un quartier sensible de Strasbourg couvert par plusieurs caméras vidéo.

Eh bien, non seulement le tireur avait prévu le coup et couvert au préalable sa tête d’un sac en plastique pour ne pas être reconnu mais, surtout, alors même qu’un coup de vent lui avait fait perdre sa cagoule de fortune, les images prises n’ont finalement servi à rien car elles étaient de bien trop mauvaise qualité. On distinguait vaguement un jeune homme de 25 ans en jogging, profil qui court les rues.

Il ne faut pas se méprendre sur la vidéosurveilance. Ce n’est pas les « Experts Miami » où plus on zoome sur l’image plus elle devient nette. La vidéosurveillance c’est plus la video VHS de papa.

Et même quand les images sont de bonne qualité, encore faut-il des moyens humains pour les visionner en continue et les analyser.

Face à ce dernier problème, certains en Grande-Bretagne ont osé suggérer l’an dernier de proposer à des citoyens de visionner de chez eux les flux d’images, une prime étant attribuée au meilleur visionneur/voyeur. Fort heureusement ce projet a été abandonné.

Mme VIAL : votre condamnation de la vidéosurveillance est dès lors sans appel ?

Me BUFFLER : oui, et j’irai même plus loin : non seulement les caméras de surveillance portent une atteinte intolérable à la vie privée et aux libertés fondamentales compte tenu des gains sécuritaires dégagés, quasi nuls, mais de surcroit l’ensemble des moyens financiers, faramineux, mis dans la vidéosurveillance sont pris sur d’autres budgets, notamment sur celui du recrutement de policiers.

A Grenoble par exemple, en 20 ans l’agglomération grenobloise a perdu 120 postes sur 720. Vous croyez vraiment que ce sont les cameras vidéo qui vont faire le boulot à la place de la police ?

C’est de policiers dans les rues, d’ilôtiers, dont les Français ont besoin ; pas de caméras de surveillance inefficaces et à des prix prohibitifs.

Avec la vidéosurveillance on donne l’impression aux gens que la police prend des mesures mais c’est le miroir aux alouettes.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

Protéger son patrimoine personnel des créanciers professionnels

Plus de 1,5 millions d’artisans, commerçants et professions libérales exercent leur activité professionnelle en indépendants, y compris ceux ayant opté pour le nouveau statut de l’auto-entrepreneur

Le souci est qu’il n’y a pas de distinction entre leurs biens personnels et leurs biens professionnels, excepté en ce qui concerne leur résidence principale (sous réserve d’une déclaration devant notaire). Dès lors, en cas de faillite, tous leurs biens sont saisissables, même les biens communs des époux en communauté (d’où l’intérêt d’opter pour le régime matrimonial de la séparation des biens quand on est entrepreneur individuel et que l’on tient à se marier).

Précédemment, la seule solution pour protéger totalement son patrimoine personnel était d’abandonner son statut d’indépendant et de créer une société.

Grande nouveauté : à compter du 1er janvier 2011 il sera possible, sans création d’une personne morale et tout en restant propriétaire de l’ensemble de ses biens, de protéger ses biens personnels des créanciers professionnels.

Pour cela il suffira d’opter pour le futur statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

L’EIRL permettra de séparer son patrimoine personnel de son patrimoine professionnel exclusivement affecté à l’exercice de son activité. Une simple déclaration d’affectation des biens auprès de l’organisme dont dépend l’indépendant suffira : répertoire des métiers pour un artisan, registre du commerce cet des sociétés pour un commerçant et greffe du tribunal de commerce (ou de la chambre commerciale) pour un libéral ou auto-entrepreneur.

Avec l’EIRL, l’entrepreneur pourra même opter, en lieu et place de l’impôt dur le revenu, pour l’impôt sur les sociétés au taux réduit de 15% jusqu’à concurrence de 38 120 euros (33,33% au-delà).

Pour plus d’information, se connecter sur : www.infoeirl.fr

Le conflit d’intérêts

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, suite à l’affaire WOERTH – BETTENCOURT, les politiques et les medias ne cessent de nous affirmer qu’il y a « conflit d’intérêts ». Juridiquement, qu’est ce qu’un « conflit d’intérêts » ?

Me BUFFLER : le conflit d’intérêts est visé par les tous premiers articles du règlement national de la profession d’avocat, c’est vous dire si les avocats savent ce qu’est le conflit d’intérêts. Surtout, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a developpé une jurisprudence à ce sujet.

Par principe les conflits d’intérêts sont interdits.

Dans le cas des avocats, sa déontologie lui impose de refuser d’être le conseil de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou simplement s’il existe un risque d’un tel conflit. Plus généralement l’avocat doit s’abstenir de s’occuper d’une affaire lorsque son indépendance risque de ne plus être entière.

Si l’on transpose cette approche du conflit d’intérêts à notre Ministre du Travail, cela signifie qu’en tant que ministre il doit s’abstenir de traiter d’affaires pour lesquelles son indépendance risquerait de ne plus être entière.

Mme VIAL : et donc ?

Me BUFFLER : eh bien, en tant que ministre du budget chargé de la politique fiscale de la France, on voit mal comment son indépendance ne risquait pas d’être mise à mal. En effet, alors même qu’en tant que Ministre du budget M. WOERTH était chargé de faire entrer les sous dans les caisses de l’Etat, sa femme était employée par la 3e fortune de France pour, si l’on en croit Le Temps de Genève, se rendre régulièrement en Suisse pour de toute évidence faire autre chose que du tourisme.

Il y a de toute évidence un malaise qui ne ferait que s’amplifier s’il devait y avoir des discussions sur l’oreiller à propos de leurs dossiers respectifs.

Et je n’aborde pas là le second conflit d’intérêts concernant M. WOERTH, lequel n’a pas manqué de cumuler les fonctions de ministre du budget avec celles de trésorier d’un parti politique.

Mme VIAL : pourtant le Président de la République a déclaré que M. WOERTH était un homme profondément honnête qui serait uniquement victime de calomnie. L’enquête de l’Inspection Générale des Finances n’a au demeurant rien décelé d’irrégulier.

Me BUFFLER : mais le conflit d’intérêts n’a que faire de l’honnêteté réelle ou supposée du ministre de Travail. A partir du moment où l’indépendance du ministre, ou de l’avocat, risque, et je dis bien « risque », de ne plus être entière, il doit refuser le poste ou le dossier.

L’intérêt du principe de la prohibition de tout conflit d’intérêts est qu’il n’y a pas à chercher à démontrer la culpabilité de la personne mise en cause. A partir du moment où le citoyen ou le justiciable est légitimement en droit de se poser des questions quant à l’indépendance de son ministre ou de son avocat, c’est qu’il y a conflit d’intérêts et seul le refus du poste ou du dossier peut y mettre fin.

Mme VIAL : à ce compte là, c’est la chasse aux sorcières comme au temps du maccarthysme. Il suffit d’être simplement suspecté pour être inquiété et contraint de démissionner.

Me BUFFLER : non, bien sûr. Le mot important est « légitimement ». Un ministre doit refuser un poste, ou en démissionner, si le citoyen peut légitimement s’interroger quant à son indépendance.

Dans le cas de l’affaire WOERTH, au vu des diverses révélations que nous subissons depuis plusieurs semaines, je crois sincèrement que le citoyen peut légitimement s’interroger quant à l’indépendance de son ex-ministre du budget.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La garde à vue telle qu’elle est pratiquée en France est jugée inconstitutionnelle !

Le Conseil Constitutionnel, saisi sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC), vient de juger que les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4 sont contraires à la Constitution.

La déclaration d’inconstitutionnalité prend effet au 1er juillet 2011. Le législateur a ainsi un an pour adopter, enfin, une législation conforme aux droits et libértés les plus élémentaires.

Question : que va-t-il se passer en attendant la réforme ? Est-ce à dire que policiers et gendarmes peuvent continuer comme avant en attendant les nouveaux textes alors même que les pratiques actuelles sont jugées contraires aux droits les plus élémentaires de tout justiciable ? Cela parait difficilement concevable. En attendant la réforme il va falloir continuer à se prévaloir de la jurisprudence de la CEDH.