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Agent immobilier et vices cachés

Par un arrêt du 3 novembre 2011 la Cour de Cassation a entendu mettre à la charge de l’agent immobilier une responsabilité technique importante puisque celle-ci énonce qu’il « appartient à l’agent immobilier qui prétend vendre un bien immobilier restauré et pourvu d’une toiture neuve de s’assurer de l’absence d’éventuels défauts cachés affectant cette toiture ». La Cour d’Appel qui a affirmé « qu’il n’entrait pas dans la mission d’un agent immobilier de vérifier, au-delà de l’apparence visuelle, le descriptif des annonces qu’il fait publier pour chercher des acheteurs », alors même que les termes de l’annonce vantaient une toiture restaurée, a violé les dispositions de l’article 1382 du Code civil.

Un agent immobilier a ainsi l’obligation de vérifier avec diligence l’exactitude des affirmations portées sur ses annonces.

Le fichier national des empreintes génétiques

Chronique novembre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 29 octobre nous avons appris que le tribunal correctionnel d’Orléans avait relaxé un faucheur volontaire d’OGM qui était poursuivi pour avoir refusé un prélèvement d’ADN destiné au fichier national automatisé des empreintes génétiques.

Qu’est ce que ce « fichier national automatisé des empreintes génétiques » ?

Me BUFFLER : Le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) est le fichier commun à la police et à la gendarmerie qui stocke les traces ADN prélevées sur les délinquants, scènes de crimes et même simples mis en cause.

Il a été crée en 1998 suite à l’affaire Guy George où l’existence d’une banque nationale des empreintes ADN aurait pu à l’époque faciliter l’arrestation du tueur en série.

Son but était de ficher le profil ADN de toutes les personnes impliquées dans des infractions à caractères sexuelles, notamment les pédophiles.

Mme VIAL : pourtant, dans le cadre du procès de ce faucheur volontaire d’OGM d’Orléans on en est loin, non ?

Me BUFFLER : tout à fait, et c’est bien tout le souci de ce fichier. Au départ limités aux crimes sexuels, depuis 1998 il n’a cessé de voir son champ étendu de telle sorte qu’il couvre aujourd’hui près des ¾ des affaires pénales traitées.

Son extension la plus grave a eu lieu dans le cadre de la Loi SARKOZY de 2003 où ce fichier a été non seulement étendu à tous types de délits mais surtout aux simples suspects.

L’extension du fichage est telle que de 2000 personnes fichées en 2002 on est passé à 1 millions 200 000 personnes fin 2009 dont plus de 900 000 correspondent à des personnes simplement suspectées. C’est totalement délirant ; cela représentent 2% de la population française fichée génétiquement. George ORWELL n’est pas loin.

Et ce fichage se fait sans un bruit, petit pas par petit pas, les politiques s’étant bien gardés de lancer un débat national sur le bien fondé de ce fichage rampant de l’ensemble de la population française.

Mme VIAL : ce fichage n’est toutefois que provisoire, non ?

Me BUFFLER : pas vraiment.

Pour ce qui est des simples suspects finalement mis hors de cause, leur empreinte génétique peut être conservée pendant 25 ans. Elles peuvent toutefois demander à être effacée du fichier mais pour cela elles doivent en faire la demande officielle auprès du procureur de la République qui a la possibilité de refuser.

On en arrive ainsi à un système où des personnes à qui l’ont a finalement strictement rien à reprocher restent néanmoins fichées pendant 25 ans sauf à faire une demande officielle de désinscription qui dans l’absolu n’est pas forcément sûre d’aboutir. Je ne vois pas comment cela peut être conforme aux droits et libertés fondamentaux et surtout je ne vois pas comment nos parlementaires ont pu voter une telle horreur juridique.

Pour ce qui est des personnes condamnées, leur empreinte génétique reste enregistrée pendant 40 ans à compter du jour où leur condamnation est devenue définitive. Avec un appel ou un pourvoi en cassation, cela signifie qu’une empreinte peut être conservée près de 50 ans, un fichage à vie qui ne dit pas son nom.

Mme VIAL : n’y a-t-il pas moyen de refuser de se soumettre à un tel prélèvement ?

Me BUFFLER : juridiquement, non. Le refus de se soumettre à un prélèvement génétique pour les personnes mises en cause constitue un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, voire deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende si l’auteur est finalement condamné pour crime.

Toutefois, la relaxe de ce faucheur volontaire à Orléans fait naître l’espoir d’une prise de conscience, notamment au sein de la magistrature, que nous sommes en train d’aller trop loin dans le fichage et le contrôle des individus.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Le livre foncier en libre service, sauf pour les avocats !

Le décret n° 2009-1193 du 7 octobre 2009 relatif au livre foncier (propre aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle) fixe les modalités de son informatisation et de sa consultation, notamment par les professionnels.

Ainsi son article 7 indique que « dans le ressort d’un bureau foncier, les notaires, les géomètres-experts, les huissiers de justice, les avocats (…) peuvent consulter le livre foncier et le registre des dépôts du chef d’une ou plusieurs personnes individuellement désignées pour savoir si des données concernant celles-ci sont enregistrées. (…). »

Toutefois, sa consultation simple et efficace par internet est limitée aux seuls notaires, géomètres-experts, huissiers de justice, Etat et collectivités territoriales (article 8).

Pourquoi les avocats ont-ils été exclus de cette consulation par internet ?

En tout état de cause, l’Ordre des Avocats de Strasbourg a saisi le Conseil d’Etat afin de faire annuler le décret du 7 octobre 2009 pour rupture d’égalité.

Et que croyez-vous qu’il est advenu ? Eh bien, par décision du 9 décembre 2011 le Conseil d’Etat a jugé que « l’article 8 du décret attaqué n’institue pas une différence de traitement manifestement disproportionnée entre les avocats et les autres professions concernées, les dispositions litigieuses n’ayant en tout état de cause pas pour effet de priver les avocats du droit de consulter les données du livre foncier par d’autres modes de consultation. »

En d’autres termes l’informatisation du livre foncier a bien été menée, sa consulation en est grandement facilitée et il est parfaitement normal que cette avancée technologique soit reservée aux seuls notaires, géomètres-experts ou huissiers de justice. Les avocats continueront à faire comme par le passé : une lettre, un timbre et plusieurs jours d’attente (si ce ne sont pas des semaines).

Il est vrai qu’il aurait été trop simple que toutes les professions du droit puissent bénéficier du même outil.

Le nouveau régime de la garde à vue conforme (pour l’essentiel) à la Constitution mais pas forcément à la CEDH

1. Par sa Décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, le Conseil Constitutionnel a déclaré le nouveau régime de la garde à vue en matière d’enquête préliminaire (art. 62 à 63-4-5 CPP) conforme à la Constitution, avec cependant une réserve quant à la pratique de l’ « audition libre » lors de laquelle la personne suspectée doit se voir informée de la nature et de la date des faits reprochés et de son droit de quitter à tout moment les locaux des enquêteurs (considérant n° 20).

Décision à lire sur http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/l…

2. Cependant, la Cour d’appel d’Agen a prononcé selon arrêt du 24 octobre 2011 et au visa de l’article 6§3 de la CEDH une nullité de garde à vue au motif que l’avocat n’avait pas eu accès au dossier.

Vous trouverez le facsimilé de cet arrêt sur le lien suivant: http://www.cabinet-ferly.com/documents/doc_493.pdf

Rien n’est donc joué.

Communiqué FNUJA du 20/11/2011

La gestation pour autrui

Chronique octobre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, en juillet dernier le Parlement a adopté la nouvelle loi sur la bioéthique. Dons d’organes, recherches sur l’embryon, procréation médicalement assistée…, la nouvelle loi de bioéthique ne bouleverse pas la donne ; aucune grande nouveauté au menu. Les revendications concernant notamment le recours aux mères porteuses ne sont pas satisfaites.

Me BUFFLER : effectivement, la gestation pour autrui n’est toujours pas autorisée en France. A tort ou à raison, les parlementaires ont estimé que le risque d’une marchandisation du corps humain était trop importante, l’interdiction de tout recours à une mère porteuse devant dès lors être maintenue.

Mme VIAL : cela n’est toutefois pas sans poser des difficultés, non ? notamment pour les enfants de parents français nés de mères porteuse américaines.

Me BUFFLER : tout à fait. Le problème s’est notamment posé pour un couple de français dont les 2 filles jumelles sont nées au Etats-Unis de mère porteuse.

Au mois d’avril dernier la Cour de Cassation a jugé qu’il était « contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui ».

En français de tous les jours cela veut dire que pour la Cour de Cassation le simple fait d’avoir eu recours à une mère porteuse empêche toute reconnaissance juridique des enfants, même si le recours à une mère porteuse était licite dans l’Etat où la gestation a eu lieu (ce qui est le cas aux Etats-Unis).

Mme VIAL : quelles sont les conséquences pour les enfants ? pour les parents ?

Me BUFFLER : les conséquences sont dramatiques : à l’état civil français ces enfants n’existent pas, leur lien de filiation avec leurs parents n’est pas reconnu, au mépris de l’état civil américain où sont nés ces enfants.

Cela signifie notamment que ces enfants ne peuvent avoir de carte d’identité française, ne peuvent hériter de leurs parents selon le droit français,… A l’égard des autorités françaises, ce sont des étrangers installés en France, sans parents.

Cette décision n’est bien évidemment pas satisfaisante. L’intérêt supérieur de ces enfants était de voir reconnaitre leur lien de filiation par les autorités françaises.

Moralement on peut estimer que la gestation pour autrui n’est pas une pratique acceptable en France, comme par exemple la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels, sans pour autant sanctionner les enfants nés par ces biais. Le prix juridique à payer pour ces enfants, au titre de pratiques dont ils ne sont nullement responsables, est beaucoup trop lourd.

L’avocat général de la Cour de Cassation avait d’ailleurs préconisé la reconnaissance de ces enfants par l’état civil français.

Mme VIAL : y a -t-il une solution ?

Me BUFFLER : oui, il faut saisir la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui se trouve à Strasbourg. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme affirme notamment le droit au respect de la vie familiale. Il y a à mon sens des chances sérieuses que la CEDH sanctionne la position des juridictions françaises. Réponse dans 2 ans.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Garde à vue en matière de terrorisme : la déclaration de guerre du gouvernement aux avocats

En dépit des très vives protestations exprimées par le Barreau par la voix notamment de ses instances représentatives, le gouvernement est resté inflexible : le décret n°2011-1520 du 14 novembre relatif à la désignation des avocats pour intervenir au cours de la garde à vue en matière de terrorisme est paru au J.O. du 15 novembre.

N’ayons pas peur des mots : ce texte est une honte et une véritable déclaration de guerre faite aux avocats, notamment dans le contexte plus général de la place de l’avocat en garde à vue. On croyait avoir tout vu en matière de suspicion à l’égard de notre profession avec le décret anti-blanchiment du 26 juin 2006, d’ailleurs partiellement annulé par le Conseil d’Etat… Pourtant une telle défiance à l’égard des avocats, matérialisée dans un texte réglementaire, est sans précédent.

Rappelons que ce texte – d’ores et déjà mort-né et qui prendra rapidement place au Panthéon des « décrets scélérats » – a été adopté sur le fondement de l’article 706-88-2 du CPP issu de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, qui prévoit que le JLD ou le juge d’instruction peuvent, si une personne est gardée à vue pour des faits de terrorisme, décider que cette personne sera assistée par « un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats habilités établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur propositions des conseils de l’Ordre de chaque barreau ».

Le décret du 14 novembre précise les modalités d’établissement de la liste des avocats pouvant être désignés pour intervenir au cours de la garde à vue en matière de terrorisme. Ne pourront figurer sur la liste que les avocats inscrits au tableau depuis plus de cinq ans, ce qui en soi est une mesure de défiance et une discrimination à l’égard des Jeunes Avocats.

Chaque conseil de l’Ordre est supposé transmettre au CNB les noms des avocats proposés au moins deux mois avant la fin de l’année civile. Le nombre des avocats proposés par chaque barreau ne peut ni excéder 10 % du nombre des avocats inscrits au tableau ni être inférieur à trois. Un conseil de l’Ordre pourra demander au ministre de la justice une dérogation, pour obtenir un seuil maximal supérieur, fondée sur les « spécificités du contentieux pénal local ».

A partir des éléments qui lui seront parvenus, il appartiendrait au bureau du Conseil national des barreaux d’arrêter la liste nationale des avocats habilités pour une durée de trois ans et de la communiquer avant le début de l’année civile à l’ensemble des bâtonniers et des chefs de juridiction.

L’article 2 du décret du 14 novembre 2011 prévoit, au titre de la période transitoire, que la première habilitation des avocats inscrits sur la liste prend effet du 1er avril 2012 au 31 décembre 2014. Chaque conseil de l’Ordre est supposé transmettre au Conseil national les noms des avocats proposés avant le 31 janvier 2012. Il appartiendrait ensuite au Conseil national de diffuser la liste nationale avant le 31 mars 2012.

La FNUJA appelle la profession, le CNB et l’ensemble des Conseils de l’Ordre à la résistance face à de telles dispositions qui contreviennent au principe du libre choix de l’avocat et posent en germe un exercice discriminatoire de la profession d’avocat.

Les Jeunes Avocats mèneront tous recours contre la totalité des dispositions critiquées.

COMMUNIQUE DE LA FNUJA 17 Novembre 2011

Le viol conjugal

Chronique octobre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, en juin dernier le Collectif féministe contre le viol a lancé une vaste campagne de sensibilisation contre le viol conjugal. Qu’entend-on par  » viol conjugal  » ?

Me BUFFLER : en fait, le viol conjugal n’est pas défini en tant que tel par la loi. Le code pénal définit précisément le viol, qui correspond à « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », et fait du viol au sein du couple une circonstance aggravante.

Ainsi le viol « simple » est puni de 15 ans de réclusion criminelle, alors qu’il est puni de 20 ans lorsqu’il est commis par le conjoint, le concubin ou le PACSé de la victime.

Vous noterez à toute fin que la circonstance aggravante liée au caractère conjugal du viol ne se limite pas aux couples mariés mais s’étend à tous les couples ayant une certaine stabilité, mariés, PACSés ou non.

Mme VIAL : le devoir conjugal n’est dès lors qu’un mythe ?

Me BUFFLER : dans le cadre du mariage, le code civil met à la charge des époux diverses obligations personnelles, plus connues sous le terme de devoirs conjugaux. Parmi ces devoirs conjugaux figure le devoir de cohabitation lequel « a pour raison d’être l’établissement de relations sexuelles normales permettant la procréation ».

Cela dit, il ne faut pas se méprendre : si l’obligation mise à la charge des époux de partager un même toit a pour finalité l’existence de relations charnelles, cela ne signifie pas qu’un conjoint est en droit de s’affranchir du consentement de l’autre époux.

Être marié ne veut pas dire disposer librement du corps de l’autre, ne pas tenir compte de son désir ou de son refus. Le consentement s’impose toujours.

Mme VIAL : que peut dès lors faire le conjoint qui se trouve face à un partenaire qui se dérobe à lui ?

Me BUFFLER : si le couple n’est pas marié, il ne reste plus au partenaire mécontent qu’à partir et trouver son bonheur ailleurs. Pour ce qui est d’un couple marié, 2 solutions : l’annulation du mariage ou le divorce.

Si le conjoint n’a jamais esquissé le moindre projet matrimonial avec son partenaire, ce dernier peut solliciter la nullité du mariage au titre d’une erreur sur une qualité essentielle de la personne du conjoint.

Il peut surtout introduire une procédure de divorce.

Dans tous les cas, se posera toutefois la question de la preuve des manquements reprochés.

Mme VIAL : pour en revenir au consentement, comment en juger ? Les femmes qui vont porter plainte pour viol contre leur époux obtiennent-elles gain de cause ?

Me BUFFLER : c’est bien tout le problème : la charge de la preuve pèse sur la victime puisque en matière de rapports conjugaux, le consentement des époux aux actes sexuels est présumé. C’est ainsi à la victime d’apporter la preuve d’une contrainte.

Statistiquement, peu de viols semblent faire l’objet de plaintes, et même quand il y a plainte, 20% sont apparemment classées sans suite (c’est-à-dire qu’elles finissent à la poubelle), 35% étant requalifiées en agressions sexuelles (c’est-à-dire qu’elles passent de la Cour d’Assises au tribunal correctionnel).

Cela dit, cette présomption se justifie aisément : qu’est-ce que « consentir » lorsque l’on n’aime plus, que l’on se dispute quotidiennement ? tout rapport sexuel imposé ou obtenu avec insistance par un époux auprès d’une épouse qui n’éprouve plus le désir doit-il être considéré comme un viol ?

On en revient à la même problématique qu’en matière de violences psychologiques au sein du couple : comment distinguer la violence des hauts et des bas qui émaillent souvent la vie d’un couple ? Seul un certificat médical détaillé permettra le plus souvent de trancher.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

La délinquance des jeunes

Chronique octobre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, mi septembre N. SARKOZY a annoncé l’adoption de nouvelles mesures afin de lutter contre la délinquance des mineurs. Un projet de loi doit notamment être déposé au Parlement afin d’encadrer militairement les jeunes délinquants récidivistes. Quel est votre sentiment quant à cette nouvelle loi ?

Me BUFFLER : mon sentiment est que le gouvernement brasse beaucoup d’air en ce qui concerne la lutte contre la délinquance, et notamment la délinquance des jeunes.

En matière de justice des mineurs, nous en sommes à la 8e, voire 9e, réforme depuis 2002. Les codes de procédure pénal et pénal que l’on peut acheter dans le commerce se trouvent périmés avant même d’avoir été mis en rayons. C’est de la pure folie.

Plutôt que de multiplier les textes de loi, notre gouvernement ferait mieux de mettre fin aux suppressions de postes au sein de nos commissariats de police. Notre justice a besoin de plus d’hommes et de moyens, pas de textes de loi.

Mme VIAL : qu’en est-il plus précisément de l’encadrement militaire des jeunes délinquants ? cela vous semble-t-il une alternative intéressante à l’emprisonnement ?

Me BUFFLER : en fait, cette mesure n’a rien de très novateur. Dès 1986, à l’initiative du Garde des Sceaux et du ministre de la Défense de l’époque, a été créée l’association « Jeunes en équipe de travail » (JET). Cette association avait pour mission d’organiser des stages de rupture de 4 mois à l’intention des jeunes délinquants. L’encadrement était assuré par des militaires volontaires.

Le moins que l’on puisse dire est que les résultats n’ont pas été brillants : un rapport d’information de 2003 notait notamment qu’un tiers des détenus majeurs ne terminaient pas leur stage, en raison soit de leur expulsion pour non-respect de la discipline, soit de leur évasion, soit d’une mesure de libération anticipée.

Par ailleurs, parmi les mineurs ayant bénéficié des JET, il apparaissait que 40 % seulement menaient à bien leur projet et ne retombaient pas dans la délinquance, soit un taux d’échec de 60%.

Au final, c’est M. Alliot-Marie qui a mis fin à l’expérience en 2004. Il est pour le moins cocasse que le gouvernement ressorte de la naphtaline une mesure qui avait été abandonnée 7 ans plus tôt faute de résultats convaincants.

Mme VIAL : mi septembre C. GUEANT annonçait par ailleurs des mesures spécifiques à l’encontre de la délinquance impliquant des mineurs roumains. Le ministre de l’Intérieur a notamment indiqué souhaiter qu’ils soient rapatriés dans leur pays. Qu’en pensez-vous ?

Me BUFFLER : une fois de plus ce n’est que du vent. 2 cas sont possibles:

1. soit les parents du mineur interpelé sont en France. Dans ce cas, dit M. Guéant, « [les mineurs] leur seront remis avant d’être rapatriés ». Or, si les parents de l’enfant n’ont rien à se reprocher, sur quel fondement vont-ils pouvoir être rapatriés avec leur enfant ? Aucun. Et comme un mineur ne peut être éloigné sans ses parents, ce qui est logique, cet enfant restera donc sur le territoire français avec ses parents !

2. soit les autorités sont dans l’incapacité de localiser les parents du mineur interpellé. Dans ce cas un rapatriement est possible sous réserve d’un accord international en ce sens. Or l’accord franco-roumain a été censuré par le Conseil Constitutionnel en 2010.

Ainsi, au final, absolument rien ne permet de rapatrier un enfant roumain, sauf si on a l’adresse de ses parents en Roumaine, ce qui est l’exception.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Fusion de la profession de juriste d’entreprise et d’avocat, le retour

Le 19 septembre 2011 notre Garde des Sceaux (Michel Mercier pour ceux qui l’aurait oublié) a déclaré au magazine « Culture Droit » : « j’ai évoqué avec des acteurs du monde économique, des avocats et des juristes d’entreprise – à l’occasion d’une table ronde en juin dernier – l’intérêt de créer un nouveau statut d’avocat en entreprises. J’ai été très satisfait de voir qu’un quasi consensus s’était dégagé sur ce sujet. A l’automne, un avant projet de loi sera d’ailleurs soumis à une large consultation ». (http://www.presse.justice.gouv.fr/lu-vu-entendu-11603/interview-de-miche…)

Sachant que la grande majorité des avocats de province, et une forte minorité des avocats parisiens, sont contre la création d’un tel statut d’avocat en entreprise, on peut légitimement se demander quels avocats ont été consultés et quelle est leur représentativité au sein de la profession.

D’autant que le rapport de la mission présidée par M. Michel Prada et intitulé « Certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris » qui a apparemment nourri la réflexion de notre ministre ne propose rien de très nouveau :

– création d’un « sous-avocat » inscrit au barreau sur une liste annexe et déchargé du respect du secret professionnel d’ordre public lequel resterait réservé aux seuls « vrais » avocats,

– dans ses rapports avec son entreprise et avec ses homologues, cet avocat au rabais bénéficierait d’un « privilège de confidentialité », la mission PRADA reconnaissant toutefois que ce privilège reste à définir,

– non soumis aux règles déontolgiques « classiques » de la profession, ce demi-avocat pourrait plaider devant les tribunaux sauf quand la représentation par avocat (un « vrai » faut-il comprendre ?) est obligatoire,

– « salarié de l’entreprise, l’avocat en entreprise en serait un collaborateur sans autre spécificité que son appartenance au barreau, gage de son intégrité et de son indépendance dans la défense du droit et le respect de la conformité » (on croit rêver !).

Bref, toujours et encore les mêmes propositions pourtant repoussées à maintes reprises par une grande majorité de la profession et toujours le même lobbying des juristes d’entreprises qui voudraient bien profiter des avantages de la profession d’avocat (notamment la confidentialité de la correspondance) sans en subir les désagréments (notamment les permanences).

Les troubles du voisinage

Chronique octobre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, en juin dernier le Bundesrat allemand s’est senti obligé d’adopter une loi afin d’interdire aux riverains d’un jardin d’enfants ou d’une école de se plaindre du bruit provoqué par les jeux d’enfants. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Me BUFFLER : en premier lieu, il faut reconnaître que des cris d’enfants peuvent être au mois aussi incommandants, voire plus, que des passages d’avions ou des bruits de marteaux-piqueurs.

Pour ce qui est de la loi elle-même, celle-ci provient du fait que plusieurs riverains de terrains de jeux ont saisi la justice en Allemagne et ont obtenu, soit la fermeture des aires de jeu dénoncées, soit la construction de murs de plusieurs mètres de haut.

Face à ces procès en cascade, et afin de rendre plus difficile le dépôt de plaintes contre le bruit des enfants, le texte de loi allemand stipule que les bruits venant de crèches, de bacs à sable ou de terrains de jeu ne doivent pas être considérés comme des dommages environnementaux comme peuvent l’être les bruits occasionnés par des installations industrielles.

Mme VIAL : est-ce que de tels procès pourraient aboutir en France ?

Me BUFFLER : dans l’absolu, oui. En droit français, les nuisances sonores causés aux riverains tombent sous le coup de la jurisprudence relative aux troubles anormaux du voisinage.

C’est en effet les tribunaux, et non le code civil, qui ont échafaudé une théorie relative aux troubles du voisinage.

Les tribunaux ont ainsi jugé que si le droit de propriété génère des droits, il impose également des devoirs, notamment celui de ne pas causer des troubles à autrui qui dépasseraient la mesure des obligations ordinaires du voisinage.

Ainsi, si vous disposez d’un arbre, installé à distance règlementaire par rapport à la propriété de votre voisin, ce dernier ne pourra pas se plaindre du fait que vos feuilles tombent dans sa piscine, cela fait partie des troubles normaux du voisinage.

Par contre, si votre chien aboie nuit et jour sans interruption, votre voisin pourra solliciter que vous soyez condamné sous astreinte de x euros par jour de retard à mettre fin à son calvaire, à charge pour vous d’éduquer votre chien ou de vous en séparer.

Mme VIAL : cela rejoint-il les procès dont la presse se fait souvent l’écho concernant le chant du coq ou le clocher du village ?

Me BUFFLER : exactement. Avec l’urbanisation croissante des campagnes, il n’est pas rare qu’un urbain fraichement installé à la campagne se plaigne du chant du coq à 5h du matin ou de l’Angelus à 6h. Excédé, il n’hésite pas à saisir le tribunal le plus proche, qui lui même n’hésite que très rarement à le débouter de son action, estimant que ces désagréments matutinaux sont des inconvénients incontournables de la vie à la campagne.

Ces cas ne doivent bien évidemment pas être confondus avec celui de l’urbain qui, en mal de campagne, en vient à établir un coq en ville. La présence d’un coq à la ville n’étant pas habituelle, le riverain mécontent à toute les chances d’obtenir que vous lui coupiez le cou, à tout le moins le sifflet.

Mme VIAL : et donc, pour ce qui est d’un jardin d’enfants, celui pourrait-il être contraint de fermer au titre du bruit qu’il occasionne ?

Me BUFFLER : dans la mesure où un jardin d’enfants est généralement créé dans l’intérêt de tous, les nuisances sonores qu’il génère si elles peuvent être aiguës étant finalement limitées à des heures bien précises toujours en journée et hors weekends, cela me paraît assez peu probable.

Cela dit, pour ce qui est des aires de jeu occupées jusqu’au petit matin par des adolescents imbibés et criards, une demande de fermeture a toutes les chances d’aboutir.

Toutefois, s’agissant d’espaces publics, ce sont les règles propres au droit administratif qui s’applique et non celles du droit privé.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.